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« Chemtrails » #4.2 : Citizen Light persiste

En juin 2024, Pierre Barnérias produisait le documentaire « La manipulation du climat : l’arme fatale ? ». Il devait être un avant goût d’une émission plus longue et « documentée ». Diffusée en deux parties en mars 2025, elle est rendue publique le vendredi 18 avril.


L’heure de vérité devait sonner. « Nous vous proposons un échange apaisé, sourcé et pédagogique avec nos trois invités qui ont une excellente connaissance du sujet« , annonce fièrement Citizen Light en description de sa vidéo YouTube. Pourtant, l’émission, diffusée gratuitement vendredi 18 avril 2025, a préféré céder aux sirènes du confusionnisme et de la sélectivité, au détriment d’une information fiable et sourcée. Son présentateur, Renaud Schira, annonce d’emblée le ton : « nous allons parler d’une pollution potentielle, qui provoque beaucoup de débat sur la Toile et qui est ridiculisée par les organes officiels, les médias de masse ou les fact-checkers.« 

Le postulat de base est faussement posé : l’ancien fondateur d’Inform’Action, association toulousaine pointée en son temps par La Dépêche pour avoir « infiltrée les écoles d’Occitanie« , est un adepte de longue date des théories alternatives. Ici, l’idée n’est pas de questionner les « chemtrails » mais, par biais de confirmation, valider ces dernières. Renaud Schira, de son pseudonyme Akina Schira, se défend sur le plateau de tirer toute conclusion. Pourtant, ce dernier ne se privait pas d’affirmer sur X que les traînées de condensation persistantes sont « un mensonge aussi durable que grotesque« .

Des intervenants partisans des « chemtrails »

« C’est un sujet qu’il faut aborder avec un maximum de rigueur […] avec des références vraiment sérieuses« , entame le présentateur. À y regarder de plus près, des sources utilisées aux invités sélectionnés, toute l’information est cependant partisane. Trois intervenants sont présents sur le plateau, aucun d’entre eux n’a de formation en sciences de l’atmosphère et en aéronautique. Claire Henrion est présentée comme fondatrice de l’association ACSEIPICA, astrologue et intéressée sur ce sujet depuis le « milieu des années 90« . Akina est immédiatement repris par l’astrologue : « Non, sur la géo-ingénierie, j’ai commencé en 2002. » Imbroglio sur le plateau dès la première minute d’émission. La deuxième intervenante, Sylvie Rulekowski, est elle aussi à la tête d’une association française anti-« chemtrails » : Ciel Voilé. Enfin, Vincent Souchaud, présenté comme « chercheur indépendant », est un coach de vie sorti de Sciences Po en 1983, selon son profil LinkedIn.

Tous trois sont des membres actifs de la communauté anti-« chemtrails » depuis plus d’une décennie. Le casting témoigne d’une communauté restreinte. En novembre 2024, dans l’émission « Chemtrails : Qui nous empoisonne ? Dans quels buts ? Comment le font-ils ?« , Henrion et Rulekowski reprenait déjà le même argumentaire. Loic Barbain, membre de l’ACSEIPICA, avait alors remplacé Souchaud, initialement invité. Ce dernier est un habitué du canal Telegram « Chemtrails France« , publiant des photographies de nuages naturels présentés comme le résultat « d’épandages ». « Très naturel, n’est-ce pas ?« , ironise-t-il en réponse à une série de photographies de cirrostratus.

Post de Vincent Souchaud le 2 juillet 2024 sur le groupe Telegram « Chemtrails France »

Interpelé par ce manque de contradiction dès le trailer publié le 14 mars 2025, Fact’Ory a tenté de contacté Citizen Light et Renaud Schira. Parmi les multiples questions posées, ce dernier se contente d’une réponse laconique. « Un chercheur du CNRS a annulé sa présence trois jours avant l’enregistrement, c’est indépendant de notre volonté ! », clame-t-il, sans plus de précisions. Ce chercheur n’est autre que François-Marie Bréon, climatologue au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) et contributeur au 5e rapport du GIEC. Le scientifique avait un temps accepté l’invitation pensant participer à une émission informative sur l’état actuel de la géo-ingénierie. Et pour cause, les échanges avec Renaud Schira montrent une dissimulation de son objectif réel, comme nous le révélions le 5 avril dernier. Nulle mention des « chemtrails ». L’esbrouffe fonctionne jusqu’à ce que le chercheur découvre le pot aux roses et se rétracte.

Extrait d’un message envoyé par Renaud Schira à François-Marie Bréon le 15 janvier 2025 mentionnant à de multiples reprises la géo-ingénierie comme objet de l’émission.

La désinformation comme postulat de base

Face à l’absence de contradiction, les déclarations infondées et erronées sont légions durant l’heure et demi de l’émission. Les invités peuvent s’épandre en un mille-feuille argumentatif, reprenant tous les poncifs du genre agrémentés de leurs propres interprétations. L’argument phare de la théorie des « chemtrails » est brandit à l’unisson : « les traînées de condensation ne peuvent persister, argue Claire Henrion, précisant que petits on nous a appris […] qu’elles n’étaient pas persistantes. » L’argument est repris plus tard par Sylvie Rulewkoski pour qui « si ça ne disparaît pas ce n’est pas une traînée de condensation« . Les traînées de condensation ne « restent visibles dans le ciel au maximum 30 à 40 secondes, pas pendant trois heures« , précise V. Souchaud.

Ce raisonnement forme le postulat de base des « chemtrails ». Pourtant, les traînées de condensation, composées de cristaux de glace, peuvent persister des heures durant lorsque l’humidité relative par rapport à la glace est sursaturée. Dans ces conditions, la traînée ne peut pas se sublimer. Ainsi, dès 1919, la première observation documentée dans une revue scientifique pose cette hypothèse, constatant la présence d’un halo de 22° synonyme de réfraction des rayons du soleil au travers de cristaux de glace.

Comble de l’absurde, le coach de vie présente lui même les conditions de cette persistance, s’imaginant évoquer les critères de formation des contrails. « Il faut être au moins à 8 000 mètres d’altitude […], à -40°C minimum et il faut qu’il y ait 70 à 80% d’hygrométrie, détaille-t-il, pour les petites traînées« . Or, la formation des traînées de condensation n’est pas fonction de l’hygrométrie mais des températures aux altitudes de vol (critères de Schmidt-Appleman). Ces températures sont facilement atteignables dans la haute troposphère mais peuvent également survenir à très faible altitude, notamment au delà du cercle polaire.

Un argumentaire basé sur des sources sélectives ou absentes

Cette litanie d’affirmations infondées est rendue possible par l’absence systématique de sources. Fact’Ory a ainsi pu relever un total de 231 assertions. 88% ne font mention d’aucune source. Des 28 restantes, quatre sont improprement citées et seulement cinq sont inclues dans les ressources mises à disposition en description de la vidéo. Le site Geoengineeringwatch de Dane Wigington est ainsi cité à trois reprises. Cette adresse web fait partie des références les plus citées lors de l’examen des lois anti-géo-ingénierie aux États-Unis. Son administrateur est également à l’origine du documenteur « The Dimming », fort de ses 25 millions de vues, et est régulièrement invité dans les médias lorsqu’il est question de « chemtrails ». Dernière sortie médiatique d’ampleur : VICE News !

Capture d’écran de la description sous la vidéo YouTube de l’émission « GÉO-INGÉNIERIE & CHEMTRAILS : CROYANCE OU RÉALITÉ ? Partie 1 », publiée en intégralité le 18 avril 2025 sur la chaîne YouTube de Citizen Light.

Ce site se fait le relai, depuis presque 15 ans, d’affirmations erronées sur le sujet. Pourtant, sur le plateau de Citizen Light, l’argumentaire repose en grande partie sur ce dernier. Ainsi, les invités s’en font l’écho reprenant les mythes de l’impossibilité de la persistance des traînées de condensation et de l’incapacité des réacteurs à former ces contrails. « Si on va sur Geoengineeringwatch.org, de Dane Wigington, toute la liste de brevets est listée« , ajoute Vincent Souchaud. Or, cette liste est un pot-pourri de brevets sans liens avec les traînées de condensation, ni même la géo-ingénierie : ensemencement des nuages, systèmes de pulvérisation de pesticides pour l’agriculture, système anti-incendie aéroporté, fumigène pour meeting aérien, etc..

Les propos deviennent plus nébuleux encore lorsque les invités sont invités à expliquer pourquoi une traînée de condensation ne pourrait pas persister. « Comment vous argumentez le fait que ces traînées, que vous considérez comme des chemtrails non des contrails, restent […] plusieurs dizaines de minutes, voire plusieurs heures« , interroge à juste titre Renaud Schira. Cette question, pourtant essentielle, ne trouvera pas de réponses. La présidente de l’association Ciel Voilé se contente de rediriger vers « des témoignages de pilotes en 2015 en Californie disant que […] les traînées de condensation disparaissent rapidement et que si ça ne disparaît pas, ce n’est pas une traînée de condensation. » Pourtant, cette déclaration est le fruit d’une personne invitée à témoigner auprès de Dane Wigington lors d’une réunion du conseil municipal de Shasta County en 2014 (non 2015). Affublé d’un habit caricatural de pilote, Jeff Nelson se présente comme pilote à la retraite et ancien instructeur de vol. « Les traînées de condensation ne durent pas plus d’une minute. […] Ce que nous voyons là n’est pas normal« , assure-t-il. Comment le sait-il ? Sur quelles données s’appuie-t-il ? Quel procédé est à l’œuvre ? Il ne le précisera pas. En d’autres termes, l’argument principal de l’émission repose sur un raisonnement circulaire sans aucun fondement.

Pour Claire Henrion, la preuve incontestable de l’existence des « chemtrails » repose sur l’altitude des « avions épandeurs ». Ces derniers évolueraient à moins de 6 000 m, donc en dessous des zones habituelles de formation des traînées de condensation. Pour elle, il est aisé de calculer cette distance grâce à la taille apparente de l’appareil. L’opération est détaillée sur son propre site. « Le profil de l’index, bras tendu, vous donne grosso modo la mesure de 1° d’arc […] Or beaucoup d’avions épandeurs ont pour taille apparente à peu près la moitié, soit 30 minutes d’arc« , peut-on lire. Précisons d’emblée que 30 minutes d’arc est la taille apparente du diamètre de la lune depuis la Terre. Malgré nos recherches et nos observations, aucun avion laissant une traînée de condensation persistante n’a pu être observé si visible dans le ciel. Même constat sur le site de l’ACSEIPICA. Les très nombreuses photos et vidéos ne permettent pas de corroborer ces déclarations. Au contraire, les avions y sont à peines discernables.

À lire aussi : « Chemtrails » #8 : l’observation à l’assaut de la théorie

Dans ce fouillis d’informations, chacun y va de sa propre interprétation. Ainsi et sans même s’en rendre compte, les interlocuteurs se contredisent régulièrement. Pour Vincent Souchaud, les preuves des supposés épandages sont documentés par un certain Mike Decker. Le Youtubeur, armé d’un objectif de bonne qualité, filme régulièrement des avions aux traînées persistantes. Pour attester ses observations, l’homme partage également les informations de vol de l’appareil disponibles sur FligthRadar24. Or, comme le montrent les films, les avions font ni la taille apparente de la lune, ni n’apparaissent à moins de 6 000 mètres d’altitude mais toujours au delà de 30 000 pieds (soit 9km). Curieusement la chaîne n’est pas indiquée dans le descriptif de l’émission. Ainsi, loin d’être un échange « aux références sérieuses » et « sourcé », l’émission de Citizen Light se complaît dans une parole partisane, sélective, erronée et largement non sourcée.


Contactés à plusieurs reprises depuis mars 2025, Citizen Light n’a pas répondu et Renaud Schira n’a pas souhaité donner suite à nos questions.



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