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À l'origine des faits


France-Soir : D’« aimants » à « aimant » de l’information ?

Alors que le service de presse en ligne France-Soir doit voir son agrément être réévalué par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) en cette fin juin, de lourds soupçons de manquement à la déontologie journalistique pèse sur les récents articles de sa colonne « Société ». L’examen approfondi de plus d’une quinzaine d’articles, publiés par la rédaction de France-Soir, montre de nombreuses problématiques de déontologie, si chère pourtant au directeur de la publication.


Déontologie transgressée : une quinzaine d’articles suspectés

Tandis que le journal publiait encore dans ses colonnes de nombreuses affaires de plagiat en 2019, au moment où une fronde naissait parmi les journalistes de la rédaction, la pratique pourrait bien avoir rattrapé l’ancien journal d’après-guerre. C’est ce qui ressort de l’examen approfondi qu’a réalisé Fact’Ory en consultant les articles publiés dans les colonnes de ce service de presse en ligne. En cause : une quinzaine d’articles publiés entre le 15 mai et le 14 juin 2024 dans la catégorie « Société » du site. Très largement inspirés de papiers issus d’autres journaux en ligne, la source est pourtant tue et les propos quasiment copier-coller.

Cette découverte survient alors que nous réalisions notre travail de veille de l’information sur X. Partagé par un partisan de la théorie des « chemtrails » que nous suivons, une publication du compte X de France-Soir évoque l’abandon, par la ville d’Alameda en Californie, d’un test de géo-ingénierie solaire.

Curieux, nous prenons connaissance de l’article affilié. Stupeur. L’article, sans citer sa source, reprend sans vergogne un article du journal Le Monde publiait la veille par une correspondante du quotidien aux Etats-Unis – Corine Lesnes -. Que ce soit par sa structure, les détails, les noms, les chiffres, les citations utilisés, tout indique que l’article de France-Soir est une réécriture, à peine dissimulée, de celui du Monde. La totalité de l’article est ainsi siphonné et passé dans un tamis grossier que la paraphrase ne saurait dissimuler. En dehors de quelques remaniement d’organisation, les propos sont repris ligne après ligne, conservant l’ordre des informations et citations. Un éléphant dans un couloir.

Extraits :

Alertés, nous décidons, par prudence, de vérifier si l’incident est isolé. Il suffira de consulter l’article posté une heure plus tôt pour réassister à l’exacte même scène : un pillage organisé à l’insu de son propriétaire initial. Cette fois-ci c’est auprès du service public – en l’occurrence France Bleu – que France-Soir va piocher. Le procédé est identique.

L’exemple le plus récent va jusqu’à reprendre, une nouvelle fois à son compte, une enquête du Journal du Dimanche (JDD), réalisée par Pierre Chamatin le 4 juin dernier. Là encore, aucune mention de la source originale. Là encore, une réécriture à peine travaillée du texte originale. Là encore, structure, citations, noms d’association, dates, chiffres sont conservés.

La consultation des articles de France-Soir montre que le procédé a été réitéré au moins une quinzaine de fois, le tout sur une période d’un mois (liste en fin d’article). Systématiquement, l’article est signé au nom de France-Soir et la source utilisée pour la rédaction non citée. Les articles iront piocher large, allant du Parisien, à Courrier International, en passant par France Info, Ouest-France, Le Figaro, CNews, Géo ou encore TF1. En d’autres circonstances, notamment avant mai 2024, les articles semblent plus timides à emprunter de manière aussi manifeste d’autres journaux. Parfois c’est un paragraphe qui est copier-coller, une autre fois c’est une citation anachronique qui est utilisée sans véritable conséquence.

Les articles incriminés proviennent en quasi-totalité de la section « Société » du site. Sa section « Politique » semble épargnée, majoritairement composée de dépêches AFP, tout comme sa section « Culture ». La section « Lifestyle » est elle composée d’articles partenaires pour lesquels « la rédaction n’a pas participé à son écriture« .

Fact’Ory regrette, a minima, le manque de transparence de France-Soir et constate ainsi de possibles manquements graves à la déontologie journalistique avec des « emprunts » répétés de sources non identifiées. Cependant, sans répondre directement à nos sollicitations, la rédaction a réalisé une première modification, ce 17 juin, sur l’article de géo-ingénierie du 13 juin ajoutant quelques liens hypertextes et précisant la source de l’information (version précédente, modifiée). L’article reste cependant inchangé dans sa forme, conservant les propos et la structure de l’article du Monde.

Juste avant la publication de notre article, France-Soir semble avoir rétropédalé et pris conscience d’une partie du caractère problématique de ses articles : la quasi totalité des articles que nous avions détectés font désormais figurer la source des propos (sans rien modifier d’autre cependant) ajoutant ici ou là le nom du média. Lors de notre sollicitation, les articles modifiés n’ont pas fait l’objet d’une précision de notre part, montrant, à la base, une potentielle connaissance des articles problématiques d’autant que les sources rajoutées correspondent aux articles sources que nous avions préalablement repérés (voir liste en fin d’article). En revanche, à ce jour, l’indication de la modification n’apparaît toujours pas.

Par exemple, l’article intitulé « Les égouts témoignent d’une consommation accrue de fruits et légumes par les habitants du XXème à Paris » a été modifié ce jour, ajoutant discrètement la mention « dans un article au Parisien » dans l’avant dernier paragraphe. Même rectificatif dans l’article du 13 juin sur le chlorothalonil qui fait désormais figuré au premier paragraphe la mention « comme le rapporte France-Bleu« , toujours sans préciser la modification ajoutée.

Nous avons ajouté à la liste des articles les liens vers les modifications apportées ce jour.


Des précédents dans le milieu du journalisme

Comme nous le rappelle Loris Guémart, journaliste à Arrêt sur Images et spécialisé dans les questions de plagiat, « le plagiat n’a pas de définition juridique (seule la contrefaçon est un délit, pour du mot à mot)« . En revanche, « sur le plan littéraire et journalistique, il ne semblerait pas absurde de qualifier ces emprunts de plagiats compte tenu de la proximité des textes malgré l’usage de paraphrases » précise-t-il.

Ces pratiques sont régulièrement épinglées dans la presse. À l’image d’Agnès Chaveau – ancienne directrice de l’école de journalisme de Sciences Po -, qui avait été épinglée par Arrêts sur image en novembre 2014 puis licenciée « pour plagiat » comme le rapportait Le Figaro en janvier 2015, ou encore de Joseph Macré-Scaron – ancien directeur adjoint de la rédaction de Marianne – qui avait été accusé des mêmes faits par L’Express en 2011, les exemples ponctuent régulièrement le milieu journalistique. Plus récemment, une polémique avait éclatée autour de la journaliste de Quotidien, Ambre Chalumeau, accusée par l’autrice Racha Belmehdi de plagiat pour avoir repris son ouvrage sans le citer. Polémique qui s’était soldée par la suppression des accusations de Belmehdi peu de temps après.

Afin de limiter les emprunts abusifs, la profession s’est engagée en juillet 2019 au travers d’une « Charte de la traçabilité de l’information« , signée à ce jour par 296 titres de presse (France-Soir ne l’a pas signée). Les journalistes s’engagent notamment à « sourcer explicitement et assez haut dans l’article le média à l’origine de l’information exclusive« . La Charte précise que « ces engagements ne sont pas limités à l’information originelle; ils sont également appliqués à toute reprise et enrichissement d’information, qui ont un caractère exclusif« . Egalement cadré par plusieurs chartes de déontologie, le journaliste « s’interdit le plagiat » (devoir n°8, Déclaration de Munich, 1971), considéré comme une « faute professionnelle grave » (devoir n°10, Charte d’éthique mondiale adoptée à Tunis en 2019), et « cite les confrères dont il utilise le travail » (Charte du SNJ, 2011).

À ce titre, les journalistes contactés semblent unanimes : « il ne semblerait pas absurde de qualifier ces emprunts de plagiats compte tenu de la proximité des textes » indique Loris Guémart. La répétition des emprunts et l’absence de sources – depuis modifiée – pose ainsi un problème de déontologie.

Pourtant, dans son manifeste intitulé « Les «aimants» de l’information« (mai 2020), France-Soir pari sur un « journalisme moderne, collaboratif et de qualité. Une approche adressée par des « aimants » de l’information, journalistes, experts reconnus« , etc., affichant la volonté « d’un journalisme moderne, collaboratif, et de qualité« . D’ »aimants » à « aimant » de l’information, le pas peut rapidement être franchi.


Un timing « malencontreux »

Le fait survient dans un contexte mouvementé pour France-Soir. D’ici à la fin juin, la CPPAP doit se prononcer sur l’agrément de service de presse en ligne du journal. Alors que ce dernier avait déjà vu son agrément retiré en décembre 2022, avant que le juge des référés du tribunal administratif de Paris ne suspende la décision en janvier 2023 (ordonnance n° 2226512/5), jugeant que « la CPPAP n’aurait pas statué en toute impartialité » comme le précise son communiqué de presse. Depuis, le Conseil d’Etat s’est prononcé le 1er mars 2024. Elle y enjoint « la commission paritaire des publications et agences de presse de se prononcer à nouveau sur la demande de renouvellement de l’agrément de francesoir.fr en qualité de service de presse en ligne dans un délai de deux mois à compter de la présente décision » (article 4).

Un énième rebondissement dans l’histoire récente du titre. Depuis sa reprise complète par Azalbert en 2016, le journal est régulièrement touché par des soubresauts. À l’été 2019, une grève avait secoué la rédaction avant que ne soient licenciés les quatre journalistes encore en activité le 19 octobre 2019 comme le révélait alors Pierre Plottu dans un communiqué de presse publié sur X.

Durant la crise du Covid, plusieurs publications évoquent le tournant du quotidien. Libération allant jusqu’à titrer : « Ceci n’est plus un journal« . Au summum de ces tensions, une pétition lancée par d’anciens journalistes de France-Soir et le Syndicat National des Journalistes (SNJ) en janvier 2021. Constatant « avec consternation que l’entrepreneur et homme d’affaires Xavier Xavier Azalbert publie depuis 2019 une tribune purement personnelle » et  » inadmissible que cette publication via internet puisse répandre en toute impunité de fausses informations et des thèses complotistes dangereuses pour la société« , les pétitionnaires exigeaient alors « la cessation immédiate de ces publications par tous les moyens juridiques ou autres qui s’imposent« .

Ce déclassement avait valu à France-Soir d’être catalogué par le moteur de recherche Décodex du Monde de « site [qui] diffuse un nombre significatif de fausses informations et/ou d’articles trompeurs« , créant la colère de son directeur. Ce dernier avait alors assigné en novembre 2021 le quotidien devant le tribunal de commerce de Paris. Le 19 juin 2023, le tribunal avait reconnu Le Monde « coupable de concurrence déloyale par dénigrement« . Trois jours plus tôt, Azalbert était en revanche débouté par la 17e chambre du Tribunal de Paris pour sa plainte en diffamation contre Mathias Wargon, comme le révélait 20 minutes.

Gageons que nos révélations soient les dernières et qu’elles donneront l’impulsion nécessaire à une pratique journalistique digne de ce nom et respectueuse des chartes dont France-Soir se revendique.


Liste des articles soupçonnés

Ci-après, la liste des archives des articles soupçonnés de manquements à la déontologie journalistique dans l’ordre chronologique inverse (du plus récent au plus ancien). La totalité des articles ont été consultés pour la dernière fois en date du 18 juin 2024 (ajout de l’archive du 18 juin, lorsque l’article a été modifié):

  1. « Alors que la France vote une loi restrictive au sujet des transitions sexuelles de mineurs, L’UE accorde des millions d’euros à un lobby trans« , France-Soir, 14 juin 2024
  2. « Le refus d’une ville en Californie d’accueillir une expérience de géo-ingénierie climatique« , France-Soir, 13 juin 2024 (archive 18 juin)
  3. « La préfecture de Vienne supprime l’obligation de contrôle d’un pesticide dans l’eau potable« , France-Soir, 13 juin 2024 (archive 18 juin)
  4. « Nationalisation du boulevard périphérique de Paris : la mairie de Paris perdrait toute compétence. Aux oubliettes les 50km/h voulus par Hidalgo ?« , France-Soir, 12 juin 2024
  5. « Les égouts témoignent d’une consommation accrue de fruits et légumes par les habitants du XXème à Paris« , France-Soir, 11 juin 2024 (archive 18 juin)
  6. « La Finlande dissuade les jeunes de faire la fête sur les plages en diffusant de la musique classique« , France-Soir, 10 juin 2024 (archive 18 juin)
  7. « Une étude finlandaise confirme les effets positifs du jardinage sur la santé« , France-Soir, 05 juin 2024 (archive 18 juin)
  8. « Une carte permet de suivre le déversement des déjections humaines dans les océans« , France-Soir, 03 juin 2024 (archive 18 juin)
  9. « Un nouveau rapport de la Cour des comptes conseille de ne plus indemniser les arrêts de travail de moins de 8 jours« , France-Soir, 31 mai 2024
  10. « L’Everest secoué par une nouvelle polémique après de dangereux embouteillages« , France-Soir, 29 mai 2024 (archive 18 juin)
  11. « Les algues vertes continuent d’inquiéter la Bretagne : déjà 40,5 tonnes ramassées en Côtes-d’Armor depuis la mi-mai 2024« , France-Soir, 28 mai 2024 (archive 18 juin)
  12. « Ce « polluant éternel » discret qui contamine pourtant la Seine et les fleuves européens« , France-Soir, 27 mai 2024 (archive 18 juin)
  13. « Fléau suite à la légalisation du cannabis : les hospitalisations des seniors ont triplé« , France-Soir, 27 mai 2024
  14. « La riposte enclenchée par Nestlé face au marché croissant des médicaments anti-obésité« , France-Soir, 23 mai 2024 (archive 18 juin)
  15. « Les villes japonaises vont vendre les cendres de leurs morts« , France-Soir, 17 mai 2024
  16. « Les tempêtes solaires menacent les agriculteurs et contraignent l’arrêt des plantations« , France-Soir, 17 mai 2024 (archive 18 juin)
  17. S. Jouan, « L’industrie du dessalement d’eau de mer en plein essor en Europe, mais non sans impact sur l’environnement« , France-Soir, 15 mai 2024

Articles sources

La liste suivante correspond aux articles possiblement utilisés par France-Soir pour la rédaction de ses articles. Se référer à l’ordre de la liste précédente.

  1. Pierre Chamatin, « Union européenne : des millions d’euros pour un lobby trans« , Le Journal du Dimanche, 04 juin 2024
  2. Salomé Martin, « La préfecture de la Vienne supprime les arrêtés obligeant à contrôler un pesticide dans l’eau potable« , France Bleu Poitou / France Bleu, 11 juin 2024
  3. « Cette proposition de loi qui fait hurler la mairie de Paris à propos du périphérique« , L’Automobile Magazine, 03 juin 2024
  4. Elie Julien, « Paris : les habitants du XXe ont mangé plus de fruits et légumes et ça s’est vu… Dans les égouts« , Le Parisien, 07 juin 2024
  5. « De la musique classique pour éloigner les jeunes des plages finlandaises« , Courrier international, 04 juin 2024
  6. Anne Le Gall, « Système immunitaire, stress, activité physique : les effets très positifs du jardinage sur notre santé« , Franceinfo / France Bleu, 31 mai 2024
  7. Cyril Renault, « Une carte révèle où les déjections humaines se déversent dans les océans« , Ouest-France en partenariat avec Sain et Naturel, 21 avril 2024
  8. Marie-Cécile Renault, « La Cour des comptes propose de ne plus indemniser les arrêts maladie de moins de 8 jours« , Le Figaro, 29 mai 2024
  9. Reportage de Didier Piereschi et Julie Alfonsi, « Nouvelle polémique au sommet de l’Everest après un embouteillage dangereux« , TF1 Info, 26 mai 2024
  10. Jérom Fouquet, « Depuis mi-mai 2024, 40,58 tonnes d’algues vertes ont été ramassées dans les Côtes-d’Armor« , Ouest-France, 24 mai 2024
  11. Stéphane Mandard, « La Seine et les fleuves européens contaminés par un « polluant éternel » passé sous les radars« , Le Monde, 27 mai 2024
  12. « Canada : les hospitalisations des séniors ont triplé depuis la légalisation du cannabis, selon une étude« , CNEWS, 21 mai 2024
  13. Chronique de Philippe Escande, « Face à la révolution des médicaments anti-obésité, Nestlé a trouvé sa riposte« , Le Monde, 22 mai 2024
  14. Loïc Pialat & Yann Rousseau, « Japon : les villes vont vendre les cendres de leurs morts« , podcast Bientôt chez vous, Franceinfo, 14 mai 2024
  15. Pierre Monnier, « Tempêtes solaires : pourquoi des agriculteurs ont été contraints d’arrêter leurs plantations« , Geo, 13 mai 2024
  16. Anne-Laure Chouin & Annabelle Grelier, « La mer à boire des usines de dessalement« , podcast Le Journal de l’éco, France Culture, 13 mai 2024



2 réponses à « France-Soir : D’« aimants » à « aimant » de l’information ? »

  1. […] Premier changement de cap à partir de juillet 2022. Depuis, sur une base régulière, l’ancien quotidien publie des articles sur la géo-ingénierie et l’ensemencement des nuages. L’un d’eux est déjà annonciateur de ce qui arrivera. Publié par X. Azalbert en mai 2023, le texte montre déjà un certain parti pris : « Et si l’on injectait des aérosols dans la stratosphère, tiens, pour voir ? Théorie du complot ?« . Un appel du pied à peine dissimulé à son lectorat, quand on sait que personne tant dans la communauté scientifique ou dans les médias – fustigés lourdement dans l’article – n’a qualifié la géo-ingénierie de « théorie du complot ». Surfant sur l’agitation des réseaux sociaux suite aux inondations dévastatrices d’avril 2024 dans la péninsule arabique, France-Soir publie deux articles, l’un sur l’ensemencement des nuages, l’autre sur la géo-ingénierie [ce dernier ayant été largement plagié sur un article du Monde comme nous le montrions le 18 juin dernier]. […]

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  2. […] inspirés d'articles issus d’autres médias en ligne, la source n'est jamais indiquée (source : Fact’Ory, 18 juin […]

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