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À l'origine des faits


[OSINT] Ce que nous apprennent les images du bombardement de l’Epicentr de Kharkiv

Dans un contexte d’offensive russe sur la région de Kharkiv depuis le 10 mai, la ville éponyme est la cible de nombreux bombardement. Après la destruction de l’une des plus grandes imprimeries du pays, le magasin de bricolage Epicentr, situé dans la banlieue nord-est de Kharkiv en Ukraine, a été touché le 25 mai 2024 à 15h02 par une bombe entraînant l’incendie de l’ensemble du bâtiment et la mort de 13 personnes [NDLRbilan provisoire au 26 mai à 14h00 GMT+1]. Cependant, il n’aura fallu que quelques heures pour que les premiers messages viennent s’opposer à la version officielle : le magasin aurait été, selon certains, un entrepôt de munitions.

Dans cet article Fact’Ory revient sur ce que nous savons à l’heure actuelle sur cet événement en s’appuyant sur des sources ouvertes.


Des comptes pro-russes à la manœuvre

L’incendie n’était pas encore maîtrisé que déjà les réseaux sociaux voyaient fleurir des messages contestant la possibilité d’un bombardement d’un magasin civil. Que ce soit sur Telegram ou X, des comptes pro-russes ou régulièrement épinglés pour relayer de la désinformation se font l’écho d’une théorie : « Non, ce n’était pas un supermarché de quincaillerie mais un énorme stock d’armes et de munitions« . Afin d’étayer leurs propos, ces derniers usent de vidéos dans lesquelles des explosions peuvent être entendues au sein de l’incendie alors en cours. Seule « la partie entrepôt de l’hypermarché […] est en feu avec des bruits caractéristiques de détonation d’obus » précise un autre internaute.

« La détonation des munitions s’est poursuivi pendant longtemps dans le bâtiment en feu du supermarché »

Silvano Trotta, 25 mai 2024, à 7h50

D’autres précisent que le « magasin de matériel que la BBC, RTE et CNN vous disent avoir été pris pour cible à Kharkov était en fait un magasin de munitions ukrainiens à l’arrière du bâtiment vide« . Pour « preuve », le « parking était vide« .

La frappe a été confirmée par l’agence de presse étatique russe TASS dans un communiqué du 25 mai publié à 19h00. « À Kharkiv, les forces armées ukrainiennes utilisent la tactique du « bouclier humaine » – elles ont installé un entrepôt militaire et un poste de commandement dans un centre commercial […] Une frappe de missile a été menée sur une installation militaire du centre commercial Epicentr » peut-on lire. Ces déclarations ne sont pas sans rappeler celles qui avaient fleuries après le bombardement du supermarché de Krementchouk en juin 2022. Les officiels russes avaient alors affirmé, à tort, que le supermarché avait pris feu suite à la « détonation de munitions […] dans un supermarché hors service« . Fact’Ory avait d’ores et déjà relevé les erreurs de ces propos dans une série de deux threads sur Twitter le 28 et 30 juin 2022.


Localisation de l’explosion

Afin de vérifier la véracité des propos suscités, il est primordial d’identifier le lieu précis de l’explosion. Le magasin de bricolage Epicentr (ЕПІЦЕНТР) se situe au nord-est de la ville de Kharkiv sur Heroiv Pratsi Street à la jonction des micro-districts résidentiels 521-y, 522 et 524. La zone commerciale, qui s’étend au pied des immeubles d’habitation, a déjà été la cible de bombardements comme en témoignent les images aériennes disponibles sur Google Maps et Google Earth.

Le supermarché, qui s’étend sur une surface de 15 000m², proposait un ensemble de produits allant des matériaux de construction au jardinage en passant par la plomberie ou encore la décoration d’intérieur. Le site de la chaîne de magasin met à disposition le plan du supermarché. Décomposé en trois parties principales (construction, aménagement intérieur, jardinerie), celui-ci fonctionne à l’image des magasins de bricolage type Bricomarché en France : les produits sont entreposés directement en rayonnage sans zone de stockage spécifique.

Capture d’écran du site epicentrk.ua, consulté le 26 mai 2024

Ainsi dans ces photographies disponibles sur Google Maps ou encore cette vidéo d’une ukrainienne datant de février 2024, on distingue les rayons accessibles au public avec les stocks de marchandise le plus souvent en haut des rayons.

Déterminer le lieu de l’explosion est rendu possible grâce à une vidéo mise en ligne par le procureur de la région de Kharkiv montrant le moment exact de la détonation à 15h02 capturé depuis l’extérieur du supermarché voisin, puis par la dashcam d’un véhicule s’engageant sur le parking avant de rebrousser chemin pour prendre la fuite.

En s’appuyant sur les éléments distinct, une triangulation peut être réalisée et ainsi estimer le lieu de l’impact. Pour ce faire, nous avons relevé la zone couverte simultanément par les deux caméras de surveillance (indiquée en hachures bordeaux sur l’image) laissant ainsi un champ restreint à explorer.

Combinée aux divers éléments présent sur les images (bâtiments, voitures, zone de stockage des caddies, enseignes, etc.), nous avons pu déterminer que la zone de l’explosion (rond bordeaux ci-dessous) se situe dans la partie arrière du bâtiment, vers les zones du magasin correspondant au revêtement de sol et plomberie.

Des images publiées par le journal The Telegraph et prises depuis les bâtiments environnants montrent le toit éventré précisément dans cette zone.

Capture d’écran de la vidéo « Russian strike hits busy suburban shopping centre in Kharkiv, Ukraine » sur YouTube, consulté le 26 mai 2024

Pour venir compléter le tableau, des photographies aériennes prises le 26 mai au petit matin montrent l’étendue des dégâts. Le bâtiment a été totalement ravagé par les flammes et un trou béant est visible sur la zone d’impact spécifique (visible ci-dessous à l’endroit où s’envolent encore des fumerolles).

Photographie publiée par la chaîne ukrainienne 24tvua sur son compte Instagram le 26 mai 2024

Au sol, cette zone est identifiable sur plusieurs photographies (1,2,3) prises depuis l’extérieur et l’intérieur.


Un supermarché hors service ?

Comme en juin 2022, la rumeur d’un supermarché hors-service est utilisée afin de nier le bombardement d’un site civil en activité. Pourtant que ce soit sur le site d’Epicentr ou sur Google Maps, le magasin était bien indiqué en service au moment des faits. La mention « Fermé temporairement » a désormais été ajouté sur Google Maps.

D’autre part, une vidéo, prise à l’intérieur du magasin lors de l’explosion, montre l’activité commerciale et civile alors en cours. Au milieu de la zone plomberie – à proximité immédiate du site d’impact -, deux employés s’affèrent, une famille accompagnée d’un enfant déambule au milieu des rayons tandis qu’un couple de personnes âgées sélectionne des articles.

Confirmant la précédente, une compilation des images des caméras de sécurité à l’intérieur du centre commercial a été partagée par le procureur régional de Kharkiv. Elles montrent tant la présence de civils faisant leurs courses que de rayons remplis de produits de consommation. On notera notamment la courte séquence de deux secondes (de la seconde 12 à 14) montrant l’allée principale du milieu du magasin : l’explosion se déploie depuis la gauche de l’image où se trouvent les rayons suscités (revêtement, plomberie).

Par ailleurs, choisissant les images qui pourraient aller dans leur sens, les internautes évoquent un « parking vide ». Pourtant, ces vidéos sont tournées après l’explosion alors que les consommateurs fuient la zone. Ainsi, la vidéo de surveillance montre un parking fréquenté et les premiers véhicules prendre la fuite. D’autres photographies et vidéos illustrent la fuite qui s’organise alors, sans que le parking ne se vide totalement (certains n’ayant pas pu prendre la fuite…).

Photographie prise à 5h13, 11 minutes après l’explosion, par l’internaute Daryna Borysenko et publiée sur son Facebook.

Une vidéo amateur, captée devant le magasin peu de temps après l’explosion, montre de nombreux civils sortir de la partie jardinage du magasin et le parking où s’alignent encore de nombreux véhicules. La vidéo de la dashcam, prise au moment de l’explosion, vient corroborer la présence de civils sur place. Enfin, une deuxième vidéo, publiée par la police de Kharkiv, capte les premiers secours réalisés sur des employés blessés de l’Epicentr (en tenue bleue).

Capture d’écran extraite de la compilation d’images publiée par le président V. Zelensky, consultée le 26 mai 2024

Précisons, pour terminer, qu’un « énorme stock d’armes et munitions » n’explose pas de la même manière. Par exemple un dépôt de munitions avait explosé en septembre 2017 dans le centre-ouest de l’Ukraine obligeant l’évacuation de 24 000 personnes et l’interdiction de l’espace aérien dans un rayon de 50km. Autre exemple plus récent, cette fois-ci en Crimée en août 2022. Les images sont explicites et sans commune mesure avec l’incendie qui a ravagé l’Epicentr. Les petites détonations entendues dans les vidéos peuvent venir des nombreux produits vendus dans ce type de magasin (produits chimiques, bonbonne de gaz, peinture inflammable, aérosols, etc.)


Conclusion

Le bombardement de l’Epicentr de Kharkiv le 25 mai 2024 semble bien avoir été réalisé sur une zone civile en activité. Comme en témoignent les différentes images et vidéos, le magasin était ouvert au moment des faits. La zone directement touchée – revêtement de sol et plomberie – est une partie librement accessible du public. Malgré les allégations de certains, aucune preuve n’existe à ce jour d’un « énorme dépôt de munitions ». Quant aux détonations secondaires entendues sur les vidéos, elles sont la conséquence de l’incendie qui s’en suit pouvant entraîner l’explosion des produits présents sur place.



Une réponse à « [OSINT] Ce que nous apprennent les images du bombardement de l’Epicentr de Kharkiv »

  1. […] Kh-101 : des débris de missiles anti-aérien ukrainiens sont accusés. Mai 2024, un nouveau centre commercial est visé à Kharkiv : le centre commercial était fermé et entreposait des armes de l’OTAN selon le Kremlin. […]

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