Par la rédaction, le 17 novembre 2024 – Temps de lecture : 7 minutes
Alors que la COP29 a débuté le 11 novembre 2024 et que des catastrophes météorologiques ont marqué l’actualité à l’image des inondations à Valence, Fact’Ory dédie ce Fake Week aux désinformations sur le thème de l’environnement et du climat.
Dans ce troisième numéro :
- 224 personnes décédées. Le bilan humain est particulièrement lourd après les inondations qui ont touchées la région de Valence en Espagne. Une tragédie humaine qui a éveillé les soupçons de certains accusant des manipulations météorologiques.
- Un reportage de TF1 sur l’ensemencement des nuages a suscité un vent de victoire dans les réseaux de désinformation. Un jeu de dupes sur une sémantique mal maîtrisée.
- Robert F. Kennedy Junior vient d’être nommé au futur ministère de la Santé américain. Si le personnage est avant tout présenté par la presse pour ses positions anti-vaccin, le septuagénaire a également une litanie de fausses informations derrière lui au sujet de l’environnement.
Inondations à Valence : une tragédie organisée ?
Du 29 au 30 octobre 2024, des pluies diluviennes emportent avec elle de nombreuses vies. L’origine anthropique de l’intensité de la goutte froide – renforcée par le changement climatique – est immédiatement remise en cause sur les réseaux sociaux.
Powerships : une fantasmagorie itinérante
Réveil douloureux pour les Valentinoises et Valentinois. Pourtant, loin des événements, les cercles de désinformation sont déjà à l’œuvre : la tragédie est orchestrée dans l’ombre par des manipulations météorologiques. Le coupable ? Un navire à l’allure étrange aurait été vu au large de Valence peu de temps avant les événements.
Son image va rapidement envahir l’espace numérique et trouver de nombreuses déclinaisons. Un véritable périple imaginaire va être créé de toute pièce : tour à tour, il sera vu au large de Valence, en Italie, à Sète, mais aussi en Grèce… Dès le 2 novembre, Fact’Ory identifiait cette centrale électrique flottante comme étant le Karadeniz Powership Onur Sultan. Plus tard, dans des articles du 12 et 15 novembre, la rédaction de l’AFP Factuel et des Observateurs de France 24 vont respectivement confirmer sa fonction et sa localisation véritables. Le powership n’était pas à Valence, mais au large des Canaries à la fin du mois de septembre avant de mouiller dans le port de Tuzla en Turquie dès le 16 octobre – bien avant la catastrophe de Valence.
L’emplacement du navire a pu être déterminé à l’aide de plusieurs éléments concordants. La vidéo originale a été identifiée grâce à une recherche sur TikTok des éléments textuels présents : « restaurant punto marino« . « La géolocalisation fournie par l’auteur de la vidéo indique que la scène a eu lieu près du Restaurant Punto Marino situé à Las Palmas de Gran Canarias, sur une des îles de l’archipel des Canaries, soit à plus de 1 800 km de Valence« , précise Nora Litoussi des Observateurs. D’autre part, « une recherche par mot-clef en espagnol » a permis aux équipes de l’AFP d’identifier plusieurs articles attestant de l’escale du navire à Las Palmas. Son nom – KPS Onur Sultan – a également donné accès à sa localisation sur des sites de suivi en temps réel des activités maritimes. Ainsi, sur le site Marine Traffic, le navire est localisé à quai dans la mer de Marmara dès le 16 octobre 2024. Last but not least, une recherche sur Google avec restriction chronologique (via l’onglet « Outils » puis « Dates précises ») nous a permis de retrouver une photographie du 4 novembre 2024 dans le chantier naval de l’entreprise Sedef Gemi İnşaatı.

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Des barrages détruits à l’origine des inondations ?
Dès le 31 octobre, une carte est présentée comme un recensement des barrages détruits par « caprice […] des écologistes« , vocifère cet internaute. Elle est utilisée pour accuser « les autorités espagnoles d’avoir supprimé des barrages autour de Valence pour satisfaire les inquiétudes écologistes. Des choix qui auraient facilité la catastrophe », souligne Jacques Pezet de CheckNews. Pourtant, la carte ne montre pas les barrages détruits, mais l’ensemble des azudes – des seuils dont le rôle est d’élever le niveau d’une rivière, sans bloquer le passage de l’eau – présents dans la région valentinoise.
S’appuyant sur des données collectées par Maldita – un média de fact-checking espagnol, le journaliste de Libé a pu remonter à la source de la carte. Il s’agit, en réalité, un document du ministère espagnol de la Transition écologique sur lequel sont indiqués les seuils présents et détruits de la région. Nombreux sont ceux toujours en activité, ce qu’a pu déterminer Libération grâce des recherches sur Google Earth. D’autre part, la destruction de certaines de ces barrières a plutôt eu l’effet inverse selon un chercheur d’écologie fluviale – Arturo Elosegi – contacté par le site de fact-checking EFA Verifica.

Ensemencement des nuages : une pratique qualifiée de théorie du complot par les médias ?
Depuis le 13 novembre 2024, un extrait du reportage de TF1, intitulé « Ensemencement des nuages : peut-on vraiment maîtriser la météo« , a été largement partagée par les cercles de désinformation. Cherchant à démontrer la validité de la théorie des « chemtrails« , la vidéo, du 18 août 2023, est ainsi brandie comme une victoire : « Nous ne sommes plus des complotistes ».
Certains, accusant directement des personnalités de la lutte contre la désinformation, expriment leur satisfaction de voir que TF1 change de fusil d’épaule en révélant enfin cette pratique. Cependant, comme Fact’Ory l’a relevé, l’ensemencement des nuages (ou cloud seeding en anglais) n’a jamais été qualifié par les médias de théorie du complot.
Cette affirmation n’est pas nouvelle. Nous en avions analysé le discours dans un article en avril 2024. À l’aide de recherches par mots-clefs et opérateurs booléens, notre équipe a pu recenser les articles évoquant la théorie des « chemtrails » et l’ensemencement des nuages : « ‘chemtrails’ AND ‘ensemencement des nuages’ after:2023-01-01« . Une consultation des multiples articles permet de constater que l’ensemencement des nuages est présenté comme une pratique ancienne et qu’elle est précisément confondue, le plus souvent à dessein, avec la théorie des « chemtrails ». D’autre part, la chaîne TF1 avait d’ores et déjà réalisé des contenus sur le cloud seeding par le passé, toujours en la présentant comme une pratique commune. Ainsi, un an à peine après sa création, la chaîne diffusait en prime time en 1976 un reportage sur « Les chasseurs de nuages« . Ce résultat a été obtenu par des mots-clefs (« ensemencement des nuages » AND TF1) dans un moteur de recherche.
Personnalité de la semaine : Robert F. Kennedy Junior, l’environnement… à peu près
Choisi par Donald Trump le 14 novembre pour occuper le poste de ministre de la Santé, RFK Jr est un personnage haut en couleur : son activisme l’a mené sur les pentes glissantes de la désinformation, n’hésitant pas à relayer les thèses les plus farfelues. Pourtant, cette nomination est vue comme une lueur d’espoir pour nombre d’internautes.
RFK Jr : « We will stop this crime«
Dans une réponse devenue célèbre à la fin août, l’ancien candidat indépendant à la présidentielle américaine affirmait vouloir « stopper le crime » des « chemtrails« . Un mois plus tard, il récidivait lors d’un meeting du « Reclaim America Tour » déclarant vouloir « enlever les produits chimiques des chemtrails« . Ces deux extraits ont immédiatement refait surface dès le 14 novembre. Si un homme politique, élevé à un tel poste, l’affirme, c’est que cela doit être vrai ? Et pourtant… RFK Jr est un partisan récent de la théorie des « chemtrails« . Son baptême public date du mois de mars 2023, lorsqu’il invite au micro de son podcast le fondateur du site GeoengineeringWatch : Dane Wigington. Il faudra attendre le mois d’août 2024, alors en pleine campagne présidentielle aux côtés de Donald Trump, pour que le septuagénaire sorte à nouveau du bois, appâté… par un témoignage probablement faux de 2014.
C’est ce que Fact’Ory démontrait le 27 août 2024. En entrant des passages du « témoignage » dans un moteur de recherche, les résultats nous avaient alors guidé vers une publication de GeoengineeringWatch du 9 décembre 2014. La piste est ainsi remontée vers la chaîne YouTube « The HAARP Report« , citée par Wigington. En description de la vidéo originale, l’auteur indique avoir eu ce témoignage d’un certain « Blue Jay » que nous avons pu retrouver, par une recherche spécifique grâce à l’usage des guillemets, sur un blog dès le lendemain.
Retrouvez l’ensemble de notre série sur la théorie des « chemtrails » dans ce dossier dédié



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