Fact'Ory

À l'origine des faits


Une « fuite » de jus d’orange preuve de l’incohérence des alunissages des missions Apollo ?

Les alunissages des missions Apollo (1969-1972) sont des objets de fascination mais aussi de fantasmes. Selon les sondages, près d’un Français sur dix considère que les hommes ne sont jamais allés sur la Lune et que la NASA a fabriqué des fausses preuves à cette fin. Dans ce registre, les théories se multiplient. Si certaines sont déjà largement documentées, d’autres restent moins connues du public. C’est le cas de cette vidéo présentant les difficultés qu’ont rencontré Charles Duke et John Young lors de la mission Apollo 16 avec du… jus d’orange.


Partagée le 3 mars 2024 par un compte adepte de la théorie de la « Terre plate » et reprise par Bertrand Scholler, la vidéo d’une durée de 2’20 affirme que le casque « n’était pas suffisamment hermétique pour protéger l’astronaute du vide spatial« . Pour preuve ? Du jus d’orange se serait échappé de la combinaison lors d’une sortie extravéhiculaire (EVA) et par conséquent entaché l’objectif de l’appareil photo porté par J. Young.

Selon l’auteur de la vidéo, « le jus d’orange se répandait par l’anneau du col […] à la Station 9 ce qui provoqua la tâche sur l’objectif de la caméra ». De fait « ceci est une preuve directe qu’ils ne pouvaient pas être sur la lune car si du jus d’orange a pu s’échapper par le système de verrouillage du casque alors celui-ci n’était pas suffisamment hermétique pour protéger l’astronaute du vide spatial » affirme-t-il. L’argument semble logique et pourtant…


À la source de l’information

Les éléments de rhétorique présentés ici sont un classique de la désinformation : mélange de faits réels, de faits distordus et falsifiés, conclusion erronée. Pour éviter tout écueil, il nous faut donc revenir sur chacun des éléments présentés et en vérifier la véracité à la lumière du contexte des événements :

  1. La photographie entachée (la conséquence)
  2. La « fuite » de jus d’orange (la cause)
  3. La fuite à travers la combinaison spatiale (le lien)

1. La photographie entachée

La vidéo s’ouvre sur une photographie prise lors de la mission Apollo 16. L’auteur affirme qu’elle a été prise à la Station 9, nom donné au 9e site d’échantillonnage lors des EVA. Nous avons donc consulté les photographies prises sur place pour en vérifier l’authenticité. Ces dernières sont disponibles en intégralité sur le site de la NASA. Un message d’avertissement y est laissé à l’attention des lecteurs :

« Images EVA-2, de la Station 9. Les lecteurs doivent noter que les taches visibles sur les images 18444 à 18470 à la fin du magazine sont très probablement sur le film original. Les scans liés ci-dessous ont été réalisés par la NASA Johnson à partir du film original vers 2005-6. Des taches identiques apparaissent sur les numérisations réalisées à partir de tirages et de négatifs provenant de négatifs en double réalisés il y a longtemps à partir du film original, probablement peu de temps après l’arrivée du film à Houston en provenance de la Lune. Le film original étant le seul ancêtre commun, les taches se trouvent nécessairement sur le film original« 

Et en effet, l’ensemble des photographies AS16-114-18444 à AS16-114-18470 montrent la même tache ressemblant à un liquide brunâtre séché sur la surface de l’objectif.

Photographie AS16-114-18457 en haute résolution © Crédit : NASA

Une recherche plus approfondie dans la galerie d’image (recherche du mot « smudges » avec la commande CTRL+F) nous permet de constater qu’une explication est apportée à ce phénomène :

« Les taches sont sans aucun doute le résultat du contact d’un chiffon humide et chargé de poussière avec la plaque du réservoir de l’appareil photo de John lors d’une tentative, entre les EVA, de nettoyer suffisamment la poussière de l’appareil photo pour rendre les réglages lisibles.« 

Un débriefing au retour de mission accrédite cette version, les astronautes Young et Duke expliquant avoir utilisé des chiffons humides pour nettoyer les caméras en permanence encrassées de poussière lunaire.

Capture du briefing pages 10-60 tel que présenté sur le site de la NASA

2. La « fuite » de jus d’orange

La vidéo enchaîne avec quatre images : deux de journaux et deux captures d’écran citant Duke et Young. Trois d’entre elles évoquent le même événement. En utilisant un moteur de recherche nous avons tout d’abord recherché des occurrences des articles en plaçant le titre entre guillemets puis sans : la recherche n’est pas féconde. Pour autant, leurs contenus s’accordent sur un point : la « fuite » massive de jus d’orange a eu lieu dans la cabine du Lunar Excursion Module (LEM ou LM). La citation de Duke est elle aussi explicite. L’horodatage est accompagné de la mention « LMP-LM » soit Lunar Module Pilot (ici Charles Duke) et Lunar Module (nommé Orion lors d’Apollo 16). La communication est donc passée depuis le LEM à 04 jours 06 heures 50 minutes et 25 secondes. Cette date correspond à la phase de descente du LEM vers la Lune.

Les deux astronautes sont alors encore en orbite autour de la Lune dans la cabine pressurisée du module lunaire. Ils viennent d’enfiler leurs combinaisons, mais Houston s’inquiète du faible volume des transmissions. Duke s’exclame alors : « Chaque fois que je tourne la tête, je reçois du jus d’orange » (time code 102:47:32). « Chaque fois que mon micro passe et attrape la valve, il la plie légèrement, ce qui est suffisant pour en faire gicler à cause de la pression de la combinaison » précise-t-il ensuite.

Photographies montrant le système d’alimentation de la combinaison A7L

Ayant déjà vécu cette situation sur Terre, Young commente : « J’ai le même problème à chaque fois en 1g« . Et Duke de répondre : « Oui, en 1g, mais tu peux te pencher pour lécher ce qui est collé sur la visière« . Toute fois, en apesanteur les liquides ne sont pas soumis à la gravité et se mettent donc à flotter librement selon le mouvement imprimé au départ. C’est ainsi que le jus d’orange s’est retrouvé à flotter à l’intérieur du casque de Duke allant jusqu’à bloquer sa vision. Comme il le racontera plus tard auprès de Hamish Lindsay dans son livre Tracking Apollo to the Moon :

« Je ne pouvais pas les [ndlr – gouttes de jus] sucer ; Je ne pouvais pas les atteindre avec ma langue. Je ne pouvais que les regarder loucher alors qu’elles flottaient devant mon visage. Finalement, certaines gouttes me frappaient sur le bout du nez et migraient lentement dans mes cheveux, me donnant un shampooing collant au jus d’orange. C’était vraiment frustrant de ne pas pouvoir essuyer ce truc, car cela me touchait et me chatouillait le nez« 

Citation de Charles Duke dans Hamish Lindsay, Tracking Apollo to the Moon, p.319

Gêné par la quantité de liquide dans son casque (entre 100 et 150cl selon la NASA !), Duke a, par la suite, dû le retirer pour le sécher et retirer le jus accumulé.

Quant à la quatrième image de la vidéo, il s’agit d’une citation de Charles Young. Désormais sur la surface lunaire à Station 6 (au début du 7e jour), celui-ci explique au centre de contrôle être aspergé de jus dans l’oreille à chaque fois qu’il regarde sa jauge d’oxygène. Même son de cloche pour Duke. Pourtant, la situation est cette fois-ci bien moins problématique du fait de la gravité lunaire et de la quantité limitée de fluide éjecté.

3. La fuite à travers la combinaison spatiale

En revanche aucune transcription, aucune vidéo, ni aucun enregistrement audio ne montre de difficultés particulières à ce sujet à Station 9. D’autre part, et c’est le plus important, il n’est nullement fait mention d’une fuite de jus d’orange par le système de verrouillage du casque. Or sans cela, l’argumentaire n’a plus de validité. On le comprend donc, la vidéo tente de lier deux événements indépendants mais bien réels (la « fuite » de jus et les taches sur les photos) tout en inventant de toute pièce une information (la fuite à travers le col de la combinaison). La conclusion à laquelle parvient l’auteur est l’illustration de la corrélation trompeuse qui consiste à établir un lien erroné entre deux événements distincts. La fuite à travers le col de la combinaison est ici le lien que cherche à établir la vidéo entre les photographies tachées et le jus d’orange. Pour autant, ce lien n’existe pas.


Conclusion

Au premier abord convaincante, cette vidéo repose l’ensemble de son argumentaire sur un lien imaginaire. Les faits montrent que le jus d’orange s’est répandu en quantité dans le casque alors que les astronautes étaient en apesanteur, troublant la vision de Duke. Pour autant le liquide n’a à aucun moment fuité à travers la combinaison. Les taches présentent sur les photographies sont, elles, probablement liées au nettoyage de la caméra à l’aide d’un chiffon humide. Dans cette histoire de jus, le courant ne passe pas.



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