Fact'Ory

À l'origine des faits


Un panneau publicitaire appelant au « président Macron » à Tel-Aviv ?

Le conflit actuel entre Israël et le Hamas, débuté le 7 octobre 2023, est source de nombreuses déclarations relayées viralement sur les réseaux sociaux. Celles-ci usent d’images et de vidéos parfois chocs afin d’interpeler le public de la situation sur place. Malgré tout, certaines sont partagées avec empressement et sans vérification approfondie. Ainsi une image d’un panneau publicitaire supposément affiché dans les rues de la capitale israélienne, Tel-Aviv, a été largement relayée sur le réseau X (anciennement Twitter) ce 22 novembre. En commentaire, de nombreuses personnes s’interrogent sur son authenticité : l’investigation est ouverte.


L’objectif de cet article est de partager avec le public la démarche du fact-checking, les incertitudes, les outils utilisés, la démarche suivie, les faits avérés et les questions en suspens.


La publication vérifiée

Dans une publication du 22 novembre 2023, publiée à 8h47, une capture d’écran d’un article montre un prétendu panneau publicitaire sur lequel peut être lu : « Président Macron, What would you do if Jean-Michel was taken hostage by Hamas ? » accompagné du #BringThemHome. De nombreuses autres publications (ici, ici ou encore ici) reprennent l’image afin de souligner l’association entre les termes « Jean-Michel » et « Président Macron ». En effet, chacun de ces comptes est tenant de la théorie, infondée et le plus souvent reposant sur de fausses informations, selon laquelle Brigitte Macron serait en réalité Jean-Michel Trogneux.


Chronologie et démarche de la vérification

Face à une image, notre premier réflexe est d’effectuer une recherche d’image inversée. Grâce à des outils en libre accès (comme sur Google Images, Tineye ou encore InVID WeVerify), la recherche permet ainsi de repérer les autres apparitions de cette image sur le web. En date du 22 novembre au soir nous effectuons cette recherche qui nous renvoie vers un premier site : Les Envahis. L’image n’est pas légendée et ne renvoie vers aucun lien. Cependant, l’article utilise une deuxième image du panneau mais de nuit. Cette deuxième image est à son tour recherchée avec trois nouveaux résultats :

  • Le Blog à Lupus
  • Le site du journal 20minutes dans un live sur le conflit
  • Le site du journal Jeune Afrique dans un article consacré aux réactions internationales liées à la trêve humanitaire entre Israël et le Hamas.

Ces résultats nous laissent dans un premier temps circonspects. Les deux premiers sites sont des blogs personnels pour lesquels la qualité de l’information n’est pas attestée. Quant au live de 20minutes, l’image n’apparaît plus dans le fil du direct.

Pour autant, nous retrouvons une archive de ce dernier en consultant Web Archive et Archive Today, deux sites dédiés à l’hébergement d’archives des pages Internet (notons que ces archives sont le fruit d’initiative personnelle des internautes). Le fil, tout comme l’article de Jeune Afrique, indique comme source un photoreporter de l’Agence France Presse (AFP) : Ahmad Gharabli.

Afin d’authentifier la source nous consultons le compte personnel sur X de Gharabli. Néanmoins son profil ne montre pas de nouvelles publications depuis le 17 novembre ni la photographie en question. Nous décidons alors de consulter la page dédiée de l’AFP aux photographies prises par les photoreporter de l’agence. En tapant le nom de l’auteur, la recherche ne renvoie alors qu’à des photographies datant, pour les plus récentes, d’août 2022. Était-il sur les lieux le 21 novembre, date supposée de la prise de vue ? Nous recherchons sur le web avec les termes « Ahmad Gharabli » en limitant la recherche à partir du 15 novembre (disponible dans la partie « Outil » du moteur de recherche de Google, par exemple). Ainsi d’autres photographies prises le 21 novembre à Tel-Aviv et le 22 novembre à Jérusalem ont été réalisées par la même personne sur le même thème (panneaux/affiches demandant la libération des otages israéliens).

Photo AHMAD GHARABLI / AFP, 21 novembre 2023

À ce stade, des doutes subsistent concernant l’authenticité de la photographie : est-elle le résultat d’une retouche ou d’une génération par une IA ? Nous prenons alors le temps d’examiner plus en avant les deux images à notre disposition. Un certain nombre d’éléments nous paraissent étranges à première vue :

  • Le panneau sens interdit ne semble pas « naturel », comme ajouté.
  • Un poteau semble se fondre avec le panneau publicitaire alors même que ce premier est plusieurs mètres en avant, artefact typique des images réalisées par IA.

La deuxième image paraît, quant à elle, très « lisse » et montre une saturation importante des couleurs. Ces éléments se retrouvent également dans les images générées par IA.

Une comparaison minutieuse des deux images nous met la puce à l’oreille : un panneau bleu présentant une flèche apparaît soudainement sur la photographie de Gharabli. A-t-il était rajouté par les services de voirie entre temps ou est-il un défaut du générateur d’image ?

Pour s’assurer de la pertinence de ces éléments, nous décidons alors de vérifier l’authenticité des panneaux de signalisations présents dans les deux images. Ceux-ci sont cohérents avec la signalétique israélienne. D’autre part, les deux images montrent une véritable cohérence entre elles et dans le contexte d’une photographie prises à Tel-Aviv :

  • Emplacements et types des arbustes
  • Tuteurs des arbustes
  • Porte grillagée
  • Tags similaires en tout point
  • Mobilier urbain en hébreu
  • Drapeau israélien
  • Climatiseurs sur le toit en arrière-plan
  • Supports du panneau d’affichage
  • Pixel mort sur le panneau
  • Détails du panneau similaires (caméra de surveillance ?, barre de chargement)

Un détail attire alors notre attention : un building est visible en arrière-plan à gauche de la première image. En nous aidant du type de mobilier urbain, des panneaux de signalisation et de l’architecture présente, nous nous lançons alors dans la recherche du lieu. La présence du building semble indiquer que le panneau se situe non loin des principaux grands édifices de la ville : nous consultons Google Maps en vue 3D pour les localiser. Après quelques minutes de recherches nous tombons nez-à-nez avec ledit panneau publicitaire. Ce dernier se situe au 94 Hamasger St à Tel-Aviv. La prise de vue date de juillet 2022, la rue est alors en travaux. Cette information est intéressante car elle peut expliquer la propreté de certains éléments urbains qui pouvaient alors paraître « suspects » dans les images étudiées. D’autre part, le poteau coupé pile à la hauteur du panneau publicitaire correspond à d’autres poteaux présents dans le quartier. La coupure nette avec le panneau n’est qu’une coïncidence de la prise de vue.

Le panneau publicitaire existe donc bien et l’ensemble est cohérent. Est-ce une preuve irréfutable de l’authenticité des photographies ? Non, le message affiché sur le panneau peut être une retouche de la photographie d’origine. Nous passons alors les photographies au crible avec l’outil Forensic de InVID WeVerify : rien de probant.

Dans le même temps, nous avons contacté l’autrice du live de 20minutes pour connaître la source précise de la photographie d’illustration. Celle-ci nous contacte deux jours plus tard pour nous confirmer avoir utilisé la banque d’image de l’AFP. Notre première recherche infructueuse n’avait comporté qu’un seul mot clef, le nom de l’auteur de la photographie. Afin d’élargir nos recherches nous avons alors utilisé les termes « Tel-Aviv » et « otages« . La photographie originale du photoreporter de l’AFP est bien disponible en date du 21 novembre ainsi qu’une deuxième, non utilisée par les différents sites.

Photo de AHMAD GHARABLI / AFP, 21 novembre 2023
Photo de AHMAD GHARABLI / AFP, 21 novembre 2023

Les photographies sont donc authentiques, d’autant qu’une troisième photographie publiée sur X le 23 novembre montre le même message affiché dans les rues de Tel-Aviv sur un autre panneau publicitaire.

Une question demeure : pourquoi le prénom Jean-Michel est-il présent dans ce message ? Qui l’a réalisé ? Dans quel but ? Nous nous lançons dans un premier temps à la recherche d’une campagne publicitaire israélienne demandant la libération des otages. Après une rapide recherche sur Google Image en anglais et en hébreu, nous tombons une image sur laquelle le panneau publicitaire de Tel-Aviv apparaît.

Elle renvoie vers la chaîne i24news – une chaîne de télévision en continu internationale basée en Israël – dans lequel le panneau publicitaire d’Hamasger St apparaît. La chaîne Youtube d’i24news est alors consultée pour trouver le live en question : nous recherchons le « day 46 » qui correspond au 21 novembre 2023. Plusieurs vidéos sont suggérées dont certaines mettent en avant ce bref passage.

Cependant le message indiqué n’est pas le même. En effet, il est en hébreu, n’interpelle pas Emmanuel Macron et utilise un hashtag légèrement différent : #BringThemHomeNow (vs #BringThemHome). La présence de ces deux messages sur le même panneau publicitaire nous laisse alors penser que les commanditaires pourraient être les mêmes. Nous effectuons une recherche avec ces deux hashtags et tombons sur un collectif, Bring Them Home Now, engagé pour la libération des otages israéliens. Ce dernier est à l’origine du visuel présent dans le live d’i24news et également capturé par Gharabli.

Visuel du collectif Bring Them How Now

Afin de déterminer s’ils sont également à l’origine du message adressé au président de la République française, nous tentons de les contacter. À ce jour nous n’avons pas encore reçu de réponse.

Enfin, si certains milieux ont très rapidement établi un lien entre les termes « Jean-Michel » et « Président Macron » pour raviver leur théorie, nous décidons de taper ces termes dans un moteur de recherche afin de trouver des correspondances entre eux. Rapidement nous réalisons que Jean-Michel est en réalité le prénom du père d’Emmanuel Macron. Cet homme peut alors être mis en relation avec l’image qui accompagne le message du panneau publicitaire : un homme, de dos, aux cheveux grisonnants et dégarnis. Ainsi, il est fort probable que ce message souhaitait interpeller directement et émotionnellement E. Macron en le plaçant face au choix de sauver son père dans une telle situation.

 Photo EBRA/Luc CHAILLOT pour le journal L’Alsace.

Conclusion

En d’autres termes, le message destiné à Emmanuel Macron, sur un panneau publicitaire de Tel-Aviv, est authentique mais ses auteurs restent non identifiés à ce jour. Il semble faire référence au père du président. Une confirmation directe des commanditaires du message permettrait de lever tout doute.

Cet article aura montré qu’une « simple » vérification d’image peut mener à une longue investigation. Nous avons ainsi souhaité apporter à nos lecteurs des éléments de compréhension du travail de vérification en y explicitant, étape par étape, la démarche utilisée et les outils consultés. Celle-ci est intimement liée à la démarche scientifique : tester des hypothèses pour démontrer si elles sont fausses ou non à partir d’éléments factuels. Cette investigation a également montré qu’un doute, étayé par certains éléments, n’est pas suffisant pour démontrer la véracité/l’authenticité d’une information. De plus, elle aura eu le mérite d’illustrer qu’une recherche mal explicitée (cf termes usités sur la banque d’image de l’AFP) peut mener à toute une série de vérifications laborieuses.

Pour finir, nous souhaitons rappeler l’utilité de la diversité des services de vérification. Ici, l’absence de reconnaissance de Fact’ory a pu nous limiter dans l’obtention de réponses de la part de certains acteurs, à la différence d’autres services (AFP Factuel, CheckNews, AP Fact Check, etc.), et dans les outils disponibles (payants, réservés à certaines organisations, etc.)



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Contact : DM ou à factsorigins@outlook.com

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