Depuis l’émergence du conflit entre le Hamas et Israël le 7 octobre 2023, les réseaux sociaux se font l’écho de nombreuses informations. Partagées et relayées dans un événement vécu à chaud, certaines de ces informations s’avèrent inexactes voire complètement inventées. Les journalistes sur le terrain se trouvent être une cible privilégiée de cette désinformation ambiante, accusés ici de faire le jeu du Hamas, là le jeu d’Israël. Récemment les équipes de CNN s’étaient vues affublées d’une mise en scène qui s’était avérée être un montage audio. Dernièrement c’était l’évacuation de l’avion de la délégation allemande qui était présentée elle aussi comme une mise en scène (voir notre article complet à ce sujet). Ce 22 octobre une nouvelle accusation a été portée contre une journaliste de la chaîne de télévision roumaine, Digi24.
À l’origine de la rumeur
La rumeur a d’abord émergé sur des comptes roumains le 22 octobre 2023. Reprise par des blogs et quelques vidéos Youtube, elle a pris de l’ampleur lorsque l’ancien premier ministre de Roumanie – Victor Ponta – a publié la vidéo sur son compte Facebook. Dans une publication moqueuse, celui-ci partage le billet d’un blog dans lequel se trouve une courte vidéo de 27 secondes : on y distingue en gros plan une journaliste portant un gilet pare-balle, allongée derrière un véhicule. Derrière elle, quelques vélos ou passants circulent, l’air de rien. Les bruits en arrière plan ne laissent percevoir aucune alarme sonore, aucun tir ou explosion. Il n’en fallait pas plus pour certains : cette séquence est donc une mise en scène grotesque feignant une alerte qui n’existe pas.
La même vidéo a ensuite essaimé sur des comptes francophones cumulant des centaines de milliers de vues ainsi que des milliers d’interactions (likes, republications) : ici ou ici.
Les comptes anglophones ne sont pas en reste. Plusieurs publications dépassent d’ores et déjà les millions de vues et des centaines de milliers d’interactions : 13 millions pour cette publication, 5 pour celle-ci ou encore cette dernière. Le phénomène est massif et viral.
Origine de l’information
Comme l’indique le bandeau de l’extrait vidéo, les images proviennent de la chaîne d’information en continu roumaine Digi 24. Une recherche inversée permet d’identifier rapidement la journaliste à l’écran, il s’agit de Cristina Cileacu. Cette dernière est bien présente en Israël depuis une dizaine de jours comme le montrent ses diverses publications sur son compte Facebook.
Lors d’un direct, le 22 octobre à 11h dans la ville d’Ashkelon, celle-ci évoque dans une avenue de la ville la vie quotidienne des populations locales. Au cours de son intervention, les sirènes d’alarme se déclenchent (à partir de 5″12 de la vidéo) : elle et son cameraman se réfugient calmement derrière un véhicule. Quelques secondes plus tard, deux détonations se font entendre (à 5″33). Durant ce laps de temps elle explicite sa démarche :
« Comme vous pouvez l’entendre, l’alarme sonne. La recommandation est de rester au sol si vous n’avez nulle part où vous réfugier. C’est ce que nous faisons actuellement. On entend les bombardements. L’alarme sonne toujours, la seule chose à faire est de rester baissé et d’attendre que les bombardements s’arrêtent. Ils semblent assez proches mais se sont désormais arrêtés […] On va rester encore un petit moment comme ça parce qu’on ne sait jamais exactement quand les bombardements se terminent. « *
Extrait des propos de Cristina Cileacu pour Digi24
En réaction aux attaques sur les réseaux sociaux, Cristina Cileacu a publié sur son Facebook le 22 octobre une réponse dans laquelle elle précise « qu’en arrière-plan de la transmission l’alarme et le bombardement se font clairement entendre et qu’en cas d’attaque, vous faites exactement ce que nous avons faits« . Et, en effet, les journalistes sur le terrain sont formés à suivre le protocole de sécurité israélien en de telles situations : soit se réfugier dans un abri proche, soit, en terrain découvert, s’allonger au sol. Recommandations que l’on peut également retrouver pour les ambassades en Israël : Etats-Unis, France, etc.
De plus, les applications recensant les alertes à la roquette ainsi que les médias locaux se sont également fait l’écho de plusieurs alertes durant la matinée du 22 octobre coïncidant avec celle vécue par l’équipe de la télévision roumaine.


En d’autres termes, une alerte a bien retentie durant le direct forçant l’équipe de Digi 24 à s’abriter le temps que cette dernière cesse. Les détonations qui s’ensuivent corroborent l’activation du système de défense antiaérien Iron Dome. La ville d’Ashkelon – située à quelques kilomètres au nord de la bande de Gaza – est donc régulièrement la cible ou sur le trajet des roquettes tirées par le Hamas depuis ce territoire.
Les passants, preuve d’une mise en scène ?
Dans un deuxième temps la journaliste se relève et explique la situation à l’antenne. La caméra se tourne alors vers le boulevard qui fourmille de véhicules :
« Comme vous pouvez le voir à l’écran, tout se passe comme si il n’y avait pas d’alarme parce que les gens savent à quel point l’armée est bien préparée […]. La courte durée de celle-ci montre que ce travail a permis d’intercepter les roquettes de Gaza et que les choses sont revenues à la normale » *
Extrait des propos de Cristina Cileacu pour Digi24

L’équipe n’a donc pas eu l’intention de cacher l’absence de réaction d’une partie de la population de la ville. Au contraire, celle-ci montre bien que les habitants d’Ashkelon semblent désormais habitués à de telles alertes et vivent avec au jour le jour. Fait que Cileacu rappelle également dans sa réponse sur Facebook : « D’ailleurs, des attaques auxquelles la population répond comme bon lui semble sont diffusées simultanément sur les télévisions du monde entier« .
De nouveau, face à l’ampleur des rumeurs, la rédaction de Digi 24 a publié ce lundi 23 octobre un article (suivi d’un deuxième quelques heures plus tard) dans lequel elle rappelle quelques faits :
« Les conflits modifient notre comportement d’une manière que nous ne pouvons même pas imaginer. Et la nature humaine s’adapte à l’idée de survie. Ainsi, ceux qui vivent quotidiennement sous les bombardements en viennent à considérer les alarmes comme faisant partie de leur vie quotidienne et créent leurs propres hiérarchies du niveau de danger. Pour quelqu’un qui entend plusieurs alarmes par jour, la peur ne s’installe que lorsqu’un missile tombe à proximité. »
» Si vous êtes dans un champ ouvert, vous devez vous allonger par terre. C’est ce qu’ont fait nos confrères surpris par une telle alarme. C’est ce qu’ont fait les journalistes de toutes les chaînes de télévision du monde présents, c’est ce qu’ont fait les membres de certaines délégations officielles. »
Extraits de l’article « La responsabilité à l’ère des balles », Digi 24, 23 octobre 2023
Dans une publication sur X, l’ambassadeur israélien en Roumanie – Reuven Azar – précise en soutien à la journaliste : « les Israéliens ignorent parfois les sirènes d’alerte, mais les journalistes ne devraient jamais les ignorer« .
Ainsi si certains habitants préfèrent ne pas se réfugier, trop habitués ou se sentant en sécurité, d’autres continuent malgré tout à se protéger en cas d’alerte. Le direct montre en effet un homme au t-shirt noir venir se protéger derrière le banc (en arrière plan en bas à gauche de la vidéo) avant de se relever une fois l’alerte levée et de rejoindre sa voiture. Son passager lui préfère à l’inverse rester debout discutant avec l’homme au t-shirt noir.



Conclusion
L’extrait vidéo de 27 secondes circulant massivement sur les réseaux sociaux est un détournement d’une séquence plus longue dans laquelle les sirènes de la ville d’Ashkelon se font entendre ainsi que des détonations. Après s’être allongée par mesure de sécurité, selon le protocole, la journaliste montre aux téléspectateurs – à l’inverse des faits qui lui sont reprochés – que malgré les alertes, la vie continue pour les habitants du lieu préférant parfois ignorer le risque.
*La traduction est proposée à partir d’une traduction automatique de la vidéo. L’équipe de Fact’ory s’excuse en cas de retranscription inexacte des propos originels.


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