À l’occasion de la 100e réunion du Conseil Scientifique Indépendant (CSI), regroupant des personnalités comme Christian Peronne, Laurent Toubiana, Pierre Chaillot ou encore Alexandra Henrion Caude, une interview de Jean-Michel Jacquemin-Raffestin a été réalisée par Kairos Presse et diffusée le 15 juin 2023. Auteur du livre Ne leur pardonnez pas, ils savent très bien ce qu’ils font (en référence à l’ouvrage de Claire Séverac, La guerre secrète contre les peuples. Ne leur pardonnez pas, ils savent ce qu’ils font, 2015, sur la théorie des « chemtrails« ) publié en septembre 2022, Jacquemin-Raffestin y enchaîne les déclarations. Comme lors de ses précédents passages (ici sur Sud Radio ou là chez Nicolas Dupont-Aignan que nous avions analysés), il y multiplie les approximations, informations infondées et fausses informations.
L’interview du 15 juin, d’une durée de 24 minutes, comporte de nombreuses affirmations. Dans un premier temps il s’exprime sur Tchernobyl et Fukushima avant de parler de son livre et des vaccins anti Covid-19. Nous analyserons ci-dessous, dans l’ordre, la troisième partie (à partir de 8’30) composée d’une trentaine de déclarations mêlant faits réels et désinformation. Une bonne partie des informations sont en l’état invérifiables.
1. « Le chlorure de magnésium soigne le Chikungunya en 48h«
Cette déclaration est infondée. Aucune étude scientifique ne démontre à ce jour l’efficacité du chlorure de magnésium pour soigner le Chikungunya. D’autre part, ce traitement est déconseillé car pouvant provoquer des diarrhées en cas de surdosage.
2. Une explosion des maladies dans l’armée américaine en 2021
Selon Jacquemin-Raffestin, « une colonel de l’armée américaine », Theresa Long, aurait déclaré devant la commission du Sénat en janvier 2022 que la « moyenne de cas sur les 5 dernières années c’était 1 million 7 et que sur l’année 2021, sur les 10 premiers mois, ils sont arrivés à 22 millions de cas » selon la base de données de l’armée (Defense Medical Epidemiology Database – DMED).
Cette base de donnée est inaccessible au public. Cependant des déclarations d’un porte-parole militaire ont été recueillies par l’AFP en décembre 2021. Selon ce dernier « les données étaient incorrectes pour les années 2016-2020 » du fait d’une corruption des données entraînant une sous-déclaration importante des diagnostics médicaux sur ces 5 années. Cela a eu pour conséquence « une augmentation significative de tous les diagnostics médicaux en 2021 ». D’après l’article, l’erreur avait été corrigée.
3. Une surmortalité de 60 000 millenials au deuxième semestre 2021
Cette affirmation est véridique. Il y a bien eu un une surmortalité d’environ 61 000 individus dans le groupe d’âge 25-44 ans durant les 10 premiers mois de l’année 2021 comme l’expliquait AP News en mars 2022.
4. « Moderna a produit 1 milliard de doses en début 2019 »
Dans cet extrait, Jacquemin-Raffestin affirme, sur la base des propos du PDG de Moderna lors du forum de Davos en janvier 2023, « qu’en début d’année 2019 il passe de 100 000 à 1 milliard » car il y aura « une pandémie l’année suivante ». Précisons que les propos exacts n’évoquent pas le début de l’année 2019 mais le début de l’année 2020 : « When the pandemic happened ». Or comme nous l’avions déjà relevé dans ce court thread, la production de vaccin était bien limitée à 100 000 doses durant toute l’année 2019 mais les capacités de production de Moderna ont du rapidement s’adapter à la demande notamment grâce à un financement de la BARDA d’environ 500 millions de $. En avril 2020, Stephane Bancel déclarait pouvoir « produire plusieurs millions de doses par mois et avec plus d’investissements, des dizaines de millions par mois en 2021 ».
5. « Bill Gates a déclaré qu’avec un bon vaccin on pouvait diminuer la population mondiale de 15% »
Cette affirmation est fausse et a été à de nombreuses reprises vérifiée. Cette fausse information circule depuis 2011 notamment au travers d’un journal irlandais, le Sovereign Independent, qui avait lui même déformé les propos de Bill Gates lors d’une conférence TedX de 2010. Lors de celle-ci, Bill Gates évoquait la limitation de la croissance démographie, pas une « diminution de la population ».
Jacquemin-Raffestin affirme à la phrase suivante que l’information avait fait « les gros titres en 2010-211 ». On comprend alors qu’il fait référence au journal irlandais, puisqu’il a été le seul à relayer cette fausse information.
6. « Bill Gates provient d’une famille d’eugénistes »
Cette affirmation est infondée. Dans un article du 6 janvier 2021, Snopes avait cherché l’origine de cette affirmation. Si le père de Bill Gates, William Gates Sr., a été au conseil d’administration du planning familial américain (Planned Parenthood) aucune information ne vient corroborer l’idée que celui-ci (ou son père avant lui) avait des idées eugénistes, les accusations venant avant tout du mouvement anti-avortement.
7. Jacques Attali aurait appelé à « réduire la population »
Cette affirmation est fausse. Dans une citation largement partagée depuis 2021 – et même avant puisque Jacques Attali avait fait condamner en diffamation des propos similaires en 1983 (deux ans après la sortie de son livre) – il est accusé d’avoir affirmé qu’« à l’avenir il s’agira de trouver un moyen de réduire la population.« . Or cette citation n’existe pas. D’autre part ses propos n’appellent pas à la réduction de la population mais s’interroge sur la façon dont « la société aborde la question de la place des seniors et de l’allongement de l’espérance de vie » comme le précisait l’AFP dans cet article d’avril 2021.
8. « Une surmortalité de 3000 personnes par semaine en Angleterre »
Cette affirmation est inexacte. Les statistiques publiques pour l’Angleterre sont disponibles sur le site de l’Office for Health Improvements and Disparities (OHID). Les données disponibles du 27 mars 2020 au 26 mai 2023 montrent que depuis l’été 2021 les excès de mortalité fluctuent autour de 1 000 à 1 500 décès par semaine (avec un pic à 2 549 décès en fin décembre 2022 et de forts reflux notamment à l’hiver 2022).
9. Le journal Mirror titre « Les Britanniques meurent par dizaines de milliers »
Cette affirmation est véridique. L’article, publié le 11 mai 2023, était ainsi rédigé : « Brits are dying in their tens of thousands – and we don’t really have any idea why« . Cette surmotalité concernait 32 441 personnes entre mai et décembre 2022 pour l’Angleterre et le Pays de Galles.
Pour information, un récent rapport de la British Hearth Foundation s’est intéressé à la surmortalité liée aux maladies cardiovasculaires. Il constate ainsi qu’il y a un excès de 96 540 décès entre 2020 et 2022 avec plus de 50% de ces décès concentrés sur la première année de la pandémie et plus de 27 000 en 2022 (soit une grande partie des décès en excès sur cette année, cf paragraphe précédent). Les causes sont multifactorielles selon le rapport : « Outre les effets directs et indirects de l’infection au Covid19 et les perturbations des services de santé […] d’autres facteurs existent. En particulier la prévalence du diabète et de l’obésité » (p.27).
10. Une augmentation des fausses couches et de la mortinatalité
Cette affirmation est infondée. Largement relayée depuis l’introduction des vaccins anti Covid-19 auprès des femmes enceintes, elle est avancée avec des statistiques extrêmement fluctuantes allant d’une augmentation de 44% à 82% voire d’une multiplication par 57. Or, à chaque fois ces chiffres sont issus de calculs ou d’interprétations erronés comme nous l’avions déjà traité ici, ici, ici ou encore ici.
D’autre part, il n’existe aucune statistique publique montrant une quelconque augmentation des fausses couches ou des mortinaissances comme le montre le dernier rapport de suivi des cas d’effets indésirables de l’ANSM de mars 2023 (p. 5 & 8).
11. Yuval Noah Harari et le transhumanisme
Yuval Noah Harari, historien, professeur et écrivain, est qualifié par Jacquemin-Raffestin de « bras droit de Klaus Schwab ». Or il n’a jamais été membre du forum économique mondial de Davos (WEF) et n’y a participé qu’à deux reprises (une fois en 2018, une autre en 2020).
Toujours selon Jacquemin-Raffestin, Harari serait en faveur du transhumanisme et du puçage des humains : « il a dit à Davos comme ça nous [les gouvernements] saurons ce que vous pensez ». Or la citation est décontextualisée. En effet, Harari – lors du forum économique mondial qui s’est tenu à Davos en janvier 2020 (intégralité de son intervention retranscrite ou en vidéo) – s’exprimait sur les « défis existentiels » de l’humanité au XXIe siècle dont celui de la rupture technologique :
« Trois problèmes posent des défis existentiels à notre espèce. Ces trois défis existentiels sont la guerre nucléaire, l’effondrement écologique et la rupture technologique […] la technologie pourrait également perturber la société humaine et le sens même de la vie humaine de nombreuses manières, allant de la création d’une classe mondiale inutile à la montée du colonialisme des données et des dictatures numériques.
|…] Si vous connaissez suffisamment la biologie et disposez de suffisamment de puissance de calcul et de données, vous pouvez pirater mon corps, mon cerveau et ma vie, et vous pouvez me comprendre mieux que je ne me comprends moi-même. Vous pouvez connaître mon type de personnalité, mes opinions politiques, mes préférences sexuelles, mes faiblesses mentales, mes peurs et mes espoirs les plus profonds […] Si ce pouvoir tombe entre les mains d’un Staline du XXIe siècle, le résultat sera le pire régime totalitaire de l’histoire de l’humanité.
[…] Et si nous permettons l’émergence de tels régimes de surveillance totale, ne pensez pas que les riches et les puissants dans des endroits comme Davos seront en sécurité, demandez simplement à Jeff Bezos. Dans l’URSS de Staline, l’État surveillait les membres de l’élite communiste plus que quiconque. Il en sera de même pour les futurs régimes de surveillance totale. Plus vous êtes haut dans la hiérarchie, plus vous serez surveillé de près.
Voulez-vous que votre PDG ou votre président sache ce que vous pensez vraiment d’eux ?
Il est donc dans l’intérêt de tous les humains, y compris les élites, d’empêcher la montée de telles dictatures numériques.
[…] Maintenant, si nous empêchons effectivement l’établissement de dictatures numériques, la capacité de pirater les humains pourrait encore saper le sens même de la liberté humaine. Parce que comme les humains s’appuieront sur l’IA pour prendre de plus en plus de décisions à notre place, l’autorité passera des humains aux algorithmes et c’est déjà le cas.«
Yuval Noah Harari, Forum économique mondial de Davod, janvier 2020
En d’autres termes, lors de cette intervention Yuval Noah Harari montrait que les nouvelles technologies et notamment les algorithmes et l’intelligence artificielle peuvent représenter un risque pour l’humanité surtout si elles venaient à tomber entre les mains de « dictatures numériques ». Il n’a cependant jamais été question de puces lors de ce discours.
12. Tony Blair en faveur d’un puçage de l’humanité
Cette affirmation est fausse. En effet, même si Jacquemin-Raffestin affirme que Tony Blair aurait dit à Davos que « nous avions tous besoin d’avoir une puce avec tous nos vaccins […] sinon on pourra plus voyager », aucune déclaration de ce type n’a été tenue par l’ancien premier ministre britannique. La totalité de l’intervention de Tony Blair lors du WEF 2023 est disponible ici.
13. Goering au procès de Nuremberg
Afin de justifier l’ancienneté du principe de « contrôle des foules par la peur », Jacquemin-Raffestin explique que « Goering au procès de Nuremberg a dit que c’est pas une question d’être nazi, c’est une question que n’importe quel gouvernement qui veut terroriser son peuple en fera ce qu’il veut ». Néanmoins dans les archives du procès de Nuremberg, Goering n’a tenu aucun propos de ce genre.
Cette fausse citation avait beaucoup circulé en septembre 2020 lorsque Robert Kennedy Jr avait utilisé celle-ci dans une manifestation « anticorona » à Berlin le 29 août 2020, comme le relevait Les Décodeurs du journal Le Monde dans cet article du 4 septembre 2020.
14. « Les enfants de Bill Gates ne sont pas vaccinés »
Cette affirmation ne repose sur aucun fondement comme l’a montré Reuters en avril 2020. Il n’existe en effet aucune source permettant d’identifier le médecin qui aurait déclaré cela. Le post, qui avait initialement rapporté cette supposée déclaration, a été supprimé car les auteurs ne maintiennent « plus les déclarations faites dans l’article ». Il avait été réalisé par Baxter Dmitry dont nous avons régulièrement montré l’usage de fausses informations et citations (ici, ici ou ici) pour le blog The People’s Voice, anciennement News Punch et Your News Wire.
15. Un enfant sur 36 est atteint d’autisme aux Etats-Unis selon les CDC
Cette affirmation est véridique. Sur la page dédiée aux troubles du spectre autistique des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), il est indiqué qu’en 2020 « 1 enfant sur 36 a été identifié avec un trouble du spectre autistique » selon les estimations de l’ADDM.
16. « L’hépatite B ça s’attrape par relation sexuel. On a besoin de faire ça a un gamin qui vient de naître ? »
La vaccination des nourrissons contre l’hépatite B n’a pas de lien avec les rapports sexuels. Si en effet cette maladie se retrouve majoritairement chez les jeunes adultes du fait de leur activité sexuelle, il existe plusieurs raisons à la vaccination des nourrissons.
Cette déclaration donne à la personne qui interroge Jacquemin-Raffestin l’occasion de surenchérir en affirmant qu’ »avec le wokisme ils pourraient avoir des relations sexuelles à 4 ans ». Cette rumeur circule largement depuis quelques mois comme l’avait démontré l’AFP en apportant les éléments de précision nécessaires.
17. Une campagne de vaccination contre le HPV à la rentrée 2023 en France
Cette affirmation est véridique mais cette campagne de vaccination nécessitera l’accord parental et n’a rien d’obligatoire comme le rappel le site de l’administration française. Il est bien prévu une « campagne de vaccination généralisée dans les collèges pour les élèves de 5e » à la rentrée 2023 « accessible à tous les collégiens, filles ou garçons ». Selon Santé Public France, le HPV est responsable de la grande majorité des 3000 nouveaux cas de cancer du col de l’utérus diagnostiqués chaque année.
18. Une augmentation des cas de cancer du col de l’utérus en Australie
L’exemple de l’Australie est régulièrement cité car le pays a lancé une vaste campagne nationale de vaccination contre le HPV depuis 2007. Il est ainsi pris pour exemple, par certains, pour évaluer de sa réussite ou de son échec. Ainsi selon Jacquemin-Raffestin qui « vient de faire un chapitre sur le Gardasil », « le cancer du col de l’utérus était en diminution […] et depuis qu’on vaccine il est en augmentation de 52% ».
Les statistiques australiennes sur la prévalence du col de l’utérus sont disponibles publiquement avec les dernières données pour l’année 2021. Elles permettent de connaître le nombre de nouveaux cas détectés chaque année par tranche d’âge. Ainsi, l’année 2002 a été l’année avec le plus faible nombre de nouveaux cas (n:695) avant de remonter à une moyenne de 732 les quatre années suivantes. En 2007, année du début de la campagne nationale, le nombre de cas était de 756 avec une augmentation majoritairement concentrée sur la tranche d’âge des 35-39 ans, non concernée par la vaccination.
L’année 2020 a été l’année ayant compté le plus grand nombre de nouveaux cas détectés depuis 1997 avec 910 cas puis de redescendre à 897 en 2021 soit une augmentation de 23% (moyenne sur 5 ans 2002-2006 : 725), et non 58%.
Pour autant, on constate que l’augmentation des cas ne s’est pas faite dans les jeunes tranches d’âge (la vaccination a majoritairement été réalisée sur les 12-18 ans en 2007 puis les 12-13 ans à partir de 2009). Par exemple en 2021 la tranche d’âge 20-24 ans ne comptait plus aucun nouveau cas. De même celle des 25-29 ans qui cumulait 42 nouveaux cas en 2007 n’en compte plus que 34 en 2021. En revanche les augmentations sont particulièrement fortes chez les plus de 35 ans.
De plus, les nouveaux cas de cancer du col de l’utérus apparaissant avant tout à partir de 30 ans (notamment du fait du développement tardif – entre 10 et 20 ans – des lésions cancéreuses après l’infection au papillomavirus), il n’est pas encore possible de mesurer l’efficacité d’une telle campagne sachant que les jeunes filles ayant été vaccinées à partir de 2007 n’entrent pas encore dans cette catégorie d’âge. Enfin, une étude australienne de 2018 a montré que la prévalence du papillomavirus chez les femmes âgées de 18 à 35 ans avait drastiquement baissée : 22.7% (2005-2007), 7.3% (2010-2012) et 1.5% (2015).
Conclusion
Sur les 18 affirmations, que nous avons pu vérifier, de Jean-Michel Jacquemin-Raffestin pour cette interview donnée à Kairos Presse seules 4 sont véridiques. Le reste des affirmations est soit lié à de fausses informations souvent déjà vérifiées, soit totalement infondé, soit décontextualisé ou trompeur.
Fact'Ory 
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