Entre fin d’urgence de santé publique de portée internationale et tenue de la 76e assemblée mondiale de la santé (WHA), des déclarations sur la « maladie X » ont refait surface cette dernière semaine entraînant déclarations inexactes et extrapolations notamment de la part de Florian Philippot, président du parti des Patriotes et ancien député.
Consacrant plus de 40% de sa vidéo à l’appel au don et à l’adhésion à son parti politique – Les Patriotes -, F. Philippot y évoque à tour de rôle la « maladie X » (de 3min10 à 8min) et la « vague géante » de Covid-19 en Chine (de 8min à 9min20). Ces deux sujets auraient, selon lui, récemment « déferlés dans toute la presse ».
La « maladie X »
1. Une hypermédiatisation ?
À l’origine de cette « émergence » de la « maladie X » dans la presse, Philippot affirme qu’elle proviendrait d’une tribune du Dr. Richard Hactchett dans le quotidien anglais The Telegraph datée du 15 mai. Cette dernière aurait lancé « médiatiquement la maladie X et ça commence à se diffuser partout », affirme-t-il avant de citer un article du New York Post qui « l’a [la tribune] repris le 24 mai ».
La presse français y a consacré, à l’heure où nous écrivons ces lignes, 4 articles :
- Dès le 23 mai 2023, un article de Yahoo Actualités, sans y consacrer son sujet, évoque dans une phrase la « maladie X » qui « figure sur la liste des menaces urgentes de l’agence des Nations Unies ».
- Le 25 mai 2023, Maxisciences consacre un article intitulé « Qu’est-ce que la “Maladie X”, cette menace mondiale redoutée par l’OMS ? »
- Le 26 mai 2023, l’Indépendant titre « Après le Covid: qu’est-ce que la mystérieuse maladie X qui pourrait provoquer la prochaine pandémie mondiale ? L’OMS et les scientifiques donnent l’alerte ».
- Enfin, Sud Radio, dans son émission du 27 mai 2023, y consacre également 5 minutes.
Dans cette même citation, Philippot fait le lien entre la tribune du Telegraph et l’article du New York Post. Or, les deux articles ont… 5 ans d’écart ! En effet, le Dr. Hactchett s’exprime le 15 mai 2018 tandis que le New York Post publie son article le 24 mai 2023. Il est donc totalement erroné d’affirmer que cette tribune a lancé « médiatiquement la maladie X » d’autant que des dizaines d’articles avaient déjà vu le jour dès le mois de mars 2018 sur la « maladie X », deux mois donc avant les propos de Hactchett (liste non exhaustive):
- https://www.sciencesetavenir.fr/sante/l-oms-estime-que-la-maladie-x-pourrait-etre-la-prochaine-menace-mondiale_121999
- https://www.europe1.fr/sante/cette-mysterieuse-maladie-x-qui-pourrait-etre-le-prochain-fleau-mondial-3598364
- https://www.sudouest.fr/sante/ebola/sante-qu-est-ce-que-la-maladie-x-futur-fleau-mondial-selon-l-oms-3135912.php
- https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/l-oms-estime-que-la-maladie-x-pourrait-etre-le-prochain-danger-mondial_2653416.html
- https://www.msn.com/fr-xl/actualite/afrique/une-myst%C3%A9rieuse-maladie-x-pourrait-elle-provoquer-la-prochaine-pand%C3%A9mie-l-oms-met-en-garde/ar-AA1bJekR?li=AAEaOmT
- https://www.slate.fr/story/158791/maladie-x-prochain-fleau-mondial
- https://www.20minutes.fr/sante/2236579-20180313-oms-prepare-maladie-x-prochaine-epidemie-mondiale
- https://www.lepoint.fr/sante/maladie-x-la-prochaine-epidemie-mondiale-13-03-2018-2202169_40.php
- https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2018-03-12/la-maladie-x-pourrait-tuer-des-millions-de-personnes-05186466-beaf-441e-a3a0-1b93a5a22fc4
- https://www.demotivateur.fr/article/mais-quelle-est-cette-maladie-x-qui-inquiete-l-oms-12907
- https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/06/25/peut-on-predire-les-futurs-fleaux-epidemiques_5320954_1650684.html
- https://www.ladepeche.fr/article/2018/03/14/2759528-la-maladie-x-prochain-grand-fleau-mondial.html
- https://www.tf1info.fr/sante/sante-epidemie-la-maladie-x-cette-affection-imaginaire-qui-fait-fremir-les-scientifiques-oms-2081579.html
2. Remise en contexte
En d’autres termes, la couverture médiatique actuelle, et spécifiquement celle de la presse, est très limitée. En revanche cette dernière a largement couvert les dernières déclarations du directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) – le Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus – lors de la 76e Assemblée mondiale de la Santé (WHA) qui se tient du 21 mai au 30 mai 2023.
En effet, lors de la deuxième plénière du 22 mai, Ghebreyesus indique que « la menace d’un autre agent pathogène émergeant avec un potentiel encore plus mortel est également bien présente » et appelle donc à se préparer « la prochaine pandémie ». La totalité de son adresse peut être retrouvée sur la chaîne Youtube de l’OMS ou retranscrite sur le site de l’OMS.
» Lorsqu’elle frappera à la porte – et elle le fera – nous devons être prêts à y répondre de manière décisive, collective et équitable«
Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus le 22 mai 2023 lors de la 76e assemblée mondiale de la santé
Pour autant ce dernier ne cite pas explicitement la « maladie X » mais y fait allusion en évoquant « un autre pathogène émergeant ».
3. Origines de la « maladie X »
À 6 minutes de vidéo, l’ancien député avance que l’OMS « a inventé ce terme [ndlr – la maladie X] juste avant le COVID mais c’est maintenant qu’elle le met sur sa liste des maladies prioritaires mais on ne sait pas pourquoi maintenant ». Or ce terme « disease X » ou « maladie X » est apparu officiellement dans les documents de l’OMS à partir de 2018.
Ce dernier trouve ses origines des suites de la 68e WHA de 2015. Lors de cette assemblée, les Parties ont décidé de la mise en place du R&D Blueprint (soit le plan d’action recherche et développement) qui sera officialisé en 2016 lors de la 69e assemblée. Ce plan d’action est « une stratégie globale et un plan de préparation qui permet l’activation rapide des activités de recherche et développement pendant les épidémies. Son objectif est d’accélérer la disponibilité de tests, de vaccins et de médicaments efficaces qui peuvent être utilisés pour sauver des vies et éviter des crises à grande échelle », selon l’OMS.
Le document, de mai 2016, détaillant ses objectifs peut être consulté à l’adresse suivante : https://cdn.who.int/media/docs/default-source/blue-print/an-randd-blueprint-for-action-to-prevent-epidemics.pdf?sfvrsn=f890ab4e_1#
De cette volonté de se préparer aux prochaines pandémies est née une liste de maladies dites prioritaires à surveiller dont la première a été établie en décembre 2015 avec 8 maladies (Fièvre hémorragique de Crimée-Congo; Maladie à virus Ebola; Maladie à virus Marburg; maladie à coronavirus MERS & SARS; virus Nipah; fièvre de la vallée du Rift).
Une mise à niveau de la liste a ensuite été réalisée une première fois en janvier 2017 puis une deuxième fois en mars 2018. Dès le 7 février 2018, l’OMS employait le terme de « maladie X » dans la revue annuelle des maladies prioritaires publiée sur son site internet. Celle-ci était alors désignée comme « la prise de conscience qu’une épidémie internationale grave pourrait être causée par un agent pathogène actuellement non reconnu causant une maladie humaine » selon cet article scientifique de novembre 2018 paru dans la revue Antiviral Research en novembre 2018 détaillant le processus de détermination des maladies prioritaires.


Ainsi la « maladie X » est définie comme une inconnue-connue, soit une maladie dont on sait qu’elle surviendra mais sans en connaître encore l’existence et sa temporalité (notamment du fait de la multiplication des zoonoses). Une vidéo de l’OMS a ainsi été publiée le 16 mars 2018 pour en préciser la définition.
Notons que le concept même de « maladie X », sans être ainsi nommé, a été établi dans la revue annuelle de 2017 en parlant de « toute maladie identifiée par l’instrument de décision Blueprint pour les nouvelles maladies », formulation précisée sous la liste des maladies prioritaires (voir image ci-dessus).
C’est pourquoi le Covid-19 a été qualifié lors de son émergence de première maladie X comme le rappel cet article publié en février 2020 dans la revue Virologica Sinica. Même son de cloche à l’OMS après la réunion du comité d’experts, ayant eu lieu à Genève du 11 au 12 février 2020, annonçant l’urgence de santé publique de portée internationale pour le Covid.
Néanmoins, le terme n’a pas disparu pendant ni après la pandémie. On retrouve pêle-mêle :
- un article de BFMTV du 25 février 2020 intitulé « le nouveau coronavirus est-il la « maladie X » redoutée par l’OMS;
- un article de Sciences et Avenir de juillet 2020 montrant comment l’OMS se préparait à la prochaine pandémie d’après Covid-19;
- une déclaration du directeur général de l’OMS lors de la 27e réunion du Comité exécutif tripartite de l’OIE le 17 février 2021
- puis lors du symposium sur les vaccins et la santé dans le monde le 23 février de la même année où la « maladie X » est explicitement nommée;
- une nouvelle déclaration en mars 2022 lors du sommet mondial sur la préparation à une pandémie dans laquelle est indiqué que « le Covid-19 ne sera pas la dernière maladie X ».
- etc.
À l’été 2022, du 29 au 30 août, une consultation a été lancée par le R&D Blueprint de l’OMS afin de « tirer les leçons de l’émergence du SARS-CoV-2 » et « répondre aux besoins de recherche d’agents inconnus capables de futures pandémies – l’agent pathogène X ». En est sorti la nécessité d’établir une nouvelle liste à l’horizon mi-2023 comme annoncé par l’OMS le 21 novembre 2022.
Ainsi il est totalement faux d’affirmer que la « maladie X » vient d’être ajoutée à la liste puisque celle-ci a été ajoutée formellement dès 2018.
La « vague géante » de Covid-19 venue de Chine
À partir de 8 minutes de vidéo, Philippot aborde le deuxième sujet, celui de la « vague géante » de Covid. Selon lui, l’émergence de ce sujet serait lié à « une analyse de Bloomberg [avec] le titre : Une nouvelle vague de Covid-19 en Chine va provoquer 65 millions de cas par semaine » publiée le 22 mai 2023. Il affirme faussement, une phrase plus loin, que le titre de l’article serait incohérent avec le contenu de ce dernier car « le titre c’est « va provoquer » et quant on commence à lire « est susceptible de » ».
Or le titre de l’article est bien au conditionnel : « China’s New Covid Wave Set to See 65 Million Cases a Week » soit « La nouvelle vague de Covid en Chine devrait voir 65 millions de cas par semaine »

D’autre part, le président des Patriotes cite, pour appuyer ses propos sur le « déferlement médiatique », un seul article publié dans JIM le 24 mai reprenant le terme de « vague géante ». Aucun autre article pendant la période récente n’utilise ce terme.
Il est également à noter que Philippot dans l’introduction de sa vidéo indique que la presse « utilise pour la première fois ce qu’ils appellent une vague géante ». Or, l’utilisation de l’expression « vague géante » n’est pas nouveau puisque l’on retrouve son utilisation en janvier 2023 sur MSN ou encore le 2 novembre 2022 dans la Tribune de Genève. La comparaison avec le « tsunami » se retrouve également dans des articles de Bloomberg en mai 2022 ou même en décembre 2021 sur Europe 1. Une analogie récurrente donc.

Enfin, Philippot affirme que « cette vague géante [est] très virtuelle ». Néanmoins, l’explosion du nombre de cas en Chine durant les quatre dernières semaines de mai se chiffre à des dizaines de millions selon les autorités chinoises elles-mêmes (pourtant peu enclines à communiquer de manière transparente depuis le début de la pandémie).
Conclusion
En définitive, la vidéo de Florian Philippot montre de nombreuses approximations, interprétations erronées et fausses informations. la maladie X a été conceptualisée dès 2017 pour la première réunion annuelle du R&D Blueprint puis nommée et ajoutée officiellement à la liste des maladies prioritaires de l’OMS en 2018. La faible résurgence médiatique de mai 2023, et alors que le terme n’a jamais disparu depuis l’émergence du SARS-CoV-2, s’explique par les déclarations récentes de Tedros Adhanom Ghebreyesus lors de la 76e WHA. Quant à la « vague géante », l’expression est actuellement anecdotique puisqu’utilisée dans un seul article de mai 2023 mais déjà utilisée à plusieurs reprises par le passé.



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